Split Fiction – Action (c)réation

Habitué aux titres coopératifs, le turbulent créateur Josef Fares signe avec Split Fiction son 4ème projet bâti autour de l’entraide. Après Brothers: A Tale of Two Sons, A Way Out et It Takes Two, Hazelight Studios nous offre une nouvelle aventure, plus approfondie sur certains points que leur précédent titre, mais également moins féérique.

A l’instar de ses prédécesseurs, Split Fiction nous parle avant tout de rencontre et d’aventure à travers laquelle des liens vont se tisser, que ce soit in game ou en dehors puisqu’il est à nouveau possible d’inviter un ami n’ayant pas acheté le jeu pour vivre l’intégralité du titre en online ou en local. Cette fois, ce sont Mio et Zoe qui vont se découvrir à travers une épopée mouvementée suite à une expérience virtuelle qui tourne mal menée par un certain Rader. En effet, les deux écrivaines se retrouvent dans une même bulle virtuelle, ce qui n’était nullement prévu à la base et qui va avoir pour conséquence de les transporter dans un univers commun dont elles vont devoir s’échapper.

Autant le dire tout de suite, la qualité d’écriture de Split Fiction n’est pas au niveau de celle de It Takes Two et ne parvient que rarement à créer une véritable empathie entre les joueurs et les deux héroïnes dont le parcours émotionnel est bien trop dilué dans un jeu sans doute un peu trop long. Si on retiendra un ou deux passages plus personnels, l’ensemble s’inscrit beaucoup trop dans une aventure bien plus hollywoodienne en renvoyant à quantité d’œuvres déjà digérées. Si cet aspect insuffle un dynamisme de chaque instant au gameplay en maximisant le rythme des différents chapitres, il ne prend pas assez le temps d’approfondir la psychologie des personnages. Pire, les deux univers dans lesquels on évolue (fantasy et science-fiction) sont tellement clichés dans ce qu’ils proposent qu’ils ne sont finalement que le reflet de l’écriture peu inspirée de Mio et Zoe (et donc des scénaristes de Hazelight) incapables la plupart du temps de nous surprendre, de nous faire rêver, alors que c’était constamment le cas dans leur précédent jeu.

On pourra donc être surpris et déçus face à cet écueil d’autant que les autres jeux de Fares parvenaient à chaque fois à mélanger gameplay, narration et émotion dans un grand tout équilibré. Le plus paradoxal est que si Split Fiction parle également de la notion de création (afin d’extérioriser des traumas, de se rappeler de moments de bonheur), le titre s’inspire tellement d’œuvres connues, qu’elles soient filmiques ou vidéoludiques, que l’attrait de la découverte provient principalement de ce côté référentiel (Portal, Game of Thrones, Ghibli, Dead Space, Tron, Mission Impossible…), de ces easter eggs plutôt que d’une envie d’originalité ou du fait d’en savoir davantage sur les deux jeunes femmes. On penchera donc plutôt vers un manque d’inspiration qu’une façon détournée de critiquer l’industrie se reposant plus que jamais sur des suites et autres remakes. Pour autant, Split Fiction s’imprègne de toute cette pop culture et il serait hypocrite de nier l’aspect amusant de certains clins d’œil d’autant que le titre dispose également (dans de trop rares occasions) de purs moments de grâce via des idées et niveaux s’inscrivant dans l’ADN du studio suédois.

Ainsi, Split Fiction se nourrit d’une énergie sans cesse renouvelée tout au long des 14 heures qui vous seront nécessaires pour boucler l’aventure à 100%. Courses-poursuites, séquences de shoot, de plates-formes, de voltige, combats de boss, ça ne s’arrête jamais. L’ironie est qu’à mesure que le tout s’emballe, un sentiment de lassitude s’installe quelque peu, la faute à ce besoin constant d’en mettre plein la vue au détriment d’une certaine naïveté. Il n’est donc pas surprenant que les meilleurs passages de Split Fiction soient ceux plus posés, magiques ou drôles. Incarner une saucisse sur le point de se faire griller, une boule de flipper, affronter un boss dans une battle de dance ou évoluer au sein d’un niveau se dessinant au grès de notre avancée est tout de même plus stimulant que d’enchaîner des passages d’action à la chaine, aussi réussis soient-ils. Le plus étonnant est que dans sa dernière ligne droite, le jeu dévoile des trésors d’ingéniosité en jouant sur la dualité et la complémentarité des deux univers en faisant preuve d’une originalité folle. Difficile ici aussi de comprendre pourquoi Fares a restreint ses idées à la dernière heure de jeu plutôt que de les distiller sur l’ensemble de l’aventure.

Enfin, on pourra également être étonnés par l’équilibre entre les actions des deux joueurs, le titre donnant vraiment l’impression d’avoir un Joueur 1 et un Joueur 2 alors qu’It Takes Two parvenait parfaitement à insuffler autant d’importance et de fun aux deux joueurs. Dans Split Fiction, ce n’est pas vraiment le cas, Mio étant généralement plus intéressante à incarner lorsque les deux femmes ont des rôles bien définis. L’exemple le plus parlant est sans doute l’un des derniers niveaux de fantasy créé par Zoe où cette dernière incarne un dragon pouvant rouler en boule, grimper à du lierre et donner des coups de boule pour ouvrir des portes pendant que Mio pourra voler et cracher de l’acide, ceci faisant d’elle une femme d’action à l’inverse de Zoe, plus en retrait, au service presque de sa comparse.

Ces réflexions ne remettent pas en cause l’intégralité du titre démontrant malgré tout une vraie générosité dans l’action ou une direction artistique faisant souvent oublier l’aspect technique du jeu qui n’a pas énormément évolué depuis quatre ans. A l’instar des précédents jeux de Hazelight Studios, Split Fiction nous fait passer un bon moment mais là où It Takes Two savait émouvoir et surprendre du début à la fin, le dernier jeu de Josef Fares ne fait que copier une formule, certes efficace mais cette fois dénuée de cette magie faisant toute la différence entre un bon et très bon jeu.

Split Fiction subit le poids d’It Takes Two et ne parvient pas à reproduire l’émerveillement suscité il y a quatre ans. Moins original, s’enfermant dans des références trop marquées, le titre parvient encore à amuser et même parfois à surprendre, mais sans pour autant réussir à émouvoir et exciter tout au long de son aventure malgré une générosité toujours aussi bienvenue.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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