Comme nous l’avons vu avec Epic Lanes, parler d’eSport en manga n’est pas chose aisée. Il faut en effet parfois réussir à s’affranchir de l’aspect sportif et compétitif pour creuser les personnages afin de créer l’empathie tout en donnant envie aux lecteurs de poursuivre l’histoire. Versus Fighting Story se confronte donc aux mêmes problèmes, mais s’avère bien plus réussi que le titre de Hachette en évitant moult erreurs tout en proposant une aventure drôle, énergique et didactique.
Vous n’y connaissez rien en eSport ? Le Versus Fighting est pour vous aussi cryptique que le curling joué à haut niveau ? Versus Fighting Story est fait pour vous ! Tout aussi paradoxale que puisse vous paraître cette introduction, elle ne fait que mettre en avant l’un des objectifs de ce manga voulant rendre accessible à toutes et à tous un genre de jeu tout aussi codifié que le MOBA. En effet, si les deux genres semblent aux antipodes l’un de l’autre, il s’avère pourtant que tous les deux sont peu accessibles, surtout à un niveau professionnel. Versus Fighting Story entend donc dès le départ casser cette barrière via ses personnages étant plus ou moins coutumiers de cet univers, ceci permettant à l’auteur de nous donner quelques explications sur les termes les plus techniques via des dialogues chargés de détails ou un lexique très complet à chaque fin de volume. Pour parfaire le tout , on y trouve également un Guide du débutant avec plusieurs conseils pour briller dans Street Fighter V ou bien encore des interviews de joueurs Pro afin de se familiariser avec le milieu de l’eSport. Un excellente initiative permettant à cette série (comptant à l’heure actuelle 4 volumes) d’être mieux appréhendée et appréciée.
Mais qu’en est-il du manga en lui-même ? Usant de tout ce qu’implique le genre «nekketsu» (l’évolution du héros à travers ses rencontres, ses efforts, ses victoires, mais aussi ses défaites) pour mieux l’injecter dans le domaine de l’eSport, le titre extrapole et force le trait bien qu’il s’appuie ouvertement sur plusieurs événements réels (à commencer par le Stunfest) et personnalités de ce milieu, de MrQuaRaté à un certain Ken Bogard en passant par des joueurs Pro comme Luffy et TKR. Le canevas scénaristique s’avère de son côté assez conventionnel et suit Maxime Volta, jeune prodige français du jeu de baston qui va très rapidement se rendre compte qu’il y a toujours plus fort que soi, surtout dans ce domaine, et qu’il lui faudra dépasser ses limites et s’entraîner d’arrache-pied si il veut s’imposer sur la scène internationale en allant affronter les japonais, maîtres incontestés du Versus Fighting. Rien de surprenant dans la structure, mais sachant que les personnages s’avèrent dynamiques, complémentaires et plutôt frais, on suit avec intérêt leurs péripéties qui leur feront affronter des joueurs et joueuses de plus en plus forts.
On retiendra d’ailleurs que le manga ne se prend jamais au sérieux en nous balançant des face à face surréalistes comme celui entre Anna Takashima (jouant d’une seule main) et Firion, membre de la Team Arkadia dont l’objectif est de gagner la Capcom Cup. Ici aussi, l’auteur Guillaume Dorison (créateur et rédacteur en chef de feu le magazine Game Fan) et la mangaka Kalon s’en sont donnés à cœur joie en brossant des personnages loufoques comme John-Claude Lafleur (fan de JCVD et dont personne ne comprend l’anglais), badass, introvertis ou quasi divins à l’image de Saizo, troisième empereur du Versus Fighting, capable de jouer les yeux fermés rien qu’en écoutant les bruits du stick de son adversaire et qui n’aurait pas dépareillé dans l’univers de Hokuto No Ken. Tout ceci donne à l’équipe, dirigée par l’oncle de Max Volta, un côté hétéroclite afin de mieux se détacher du groupe de son neveu et ainsi de battre les cartes en vue d’un inévitable affrontement à venir.
A ce sujet, on regrettera que les quelques parties de Street Fighter V imagées ne soient pas plus lisibles, la faute à un story-board parfois un peu brouillon. Dommage d’autant que le trait de Kalon s’avère détaillé et très énergique. L’ensemble s’avère visuellement très agréable et l’intégration de photos pour certains décors parvient à davantage ancrer l’aventure dans le réel malgré l’aspect ouvertement WTF totalement assumé. Au final, ces premiers volumes de Versus Fighting Story remplissent bien leur office d’autant que de nouveaux personnages apparaissent à intervalles réguliers et que l’histoire suit tranquillement son cours à travers l’entraînement de Max, ses relations parfois tendues mais toujours bienveillantes et pleines d’humour avec sa sœur, les réflexions sur l’aspect pécuniaire s’opposant à la passion du genre et la beauté du sport ou bien encore l’évolution de la Team Arkadia confrontée dès le départ à des joueurs surhumains. Qu’on soit donc fan ou non d’eSport ou de Versus Fighting, le titre de Glénat se montre étonnamment réussi en ayant trouvé un juste équilibre entre ses influences Shonen et son envie de prendre le lecteur par la main pour lui expliquer les rouages de ce milieu où un simple quart de cercle vers l’avant peut changer la face du monde.