Triangle Strategy – L’art de la guerre

Bien que le RPG tactique n’ait jamais disparu, le souvenir de Final Fantasy Tactics résonne encore dans le coeur de celles et ceux qui ont eu la chance de croiser sa route. Malgré ses deux suites, subsistait un grand vide chez les amateurs du genre. Triangle Strategy était donc attendu de pied ferme, grâce à son scénario mature et l’envie de proposer un digne héritier au chef-d’œuvre de Squaresoft. Mais est ce que l’attente en valait finalement la chandelle ?

Tactics Ogre Reborn, The Diofield Chronicle, Marvel’s Midnight Suns, le RPG tactique aura vu quelques représentants de poids en 2022 et il devrait en être de même cette année avec Front Mission 1St, le sans cesse repoussé Advance Wars 1+2: Re-Boot Camp, Metal Slug Tactics et Fire Emblem Engage pour ne citer que les plus connus. Si Tactics Ogre Reborns aura permis à nombre de joueurs de découvrir le père du tactical RPG (sorti en 1995 sur Super Nintendo) à travers un remake de qualité, de nombreux joueurs désespéraient de retrouver l’ambiance si particulière de Final Fantasy Tactics sorti en 1997 sur PlayStation. En effet, si la saga avait eu droit par la suite à deux séquelles (sur GBA et Nintendo DS), ces dernières n’avaient pas réussi à proposer un scénario aussi complexe, torturé et sombre que celui de leur grand frère. Triangle Strategy était donc fortement attendu sur ce point puisque semblant reposer sur un aspect géopolitique et une imposante galerie de personnages à même de donner du corps et de l’épaisseur à l’intrigue. Opposant également un aspect graphique des plus chibi (via des personnages super-deformed) à la dureté de son histoire et de son message, Triangle Strategy entretenait également un autre point commun avec FFT. Une raison de plus pour l’attendre le cœur gonflé d’espoir…

C’est dans les vieux plots…

D’un point de vue scénaristique, Triangle Strategy tient le haut du pavé bien que tout ne soit pas parfait. Néanmoins, on ne pourra lui enlever l’envie de proposer une histoire riche, dense et composée de multiples rebondissements dont le joueur sera lui-même partie prenante. En effet, à intervalles réguliers, le jeu vous mettra face à des choix qui auront un impact direct (et donc crucial) sur le déroulé de l’histoire. Ainsi, en tant que leader de votre groupe, vous devrez faire en sorte que vos compagnons, ayant leurs propres convictions, se rangent de votre côté. Dans ce cas, vous aurez alors la possibilité de leur parler afin d’orienter leurs décisions en choisissant les bons arguments. Pas si simple, même si en allant vous balader dans votre village pour prendre le pouls de la situation en discutant avec les habitants, vous glanerez diverses informations qui amèneront de nouvelles options de dialogues avec vos camarades. Cet aspect sera donc primordial pour avoir l’une des fins du jeu et surtout poursuivre une partie en accord avec vos principes.

De ces décisions, découlera une histoire plus ou moins tragique ainsi qu’une conclusion associée. Et vue l’ampleur du scénario rempli de trahisons, prises de positions radicales et autres conflits raciaux, Dieu seul sait que Triangle Strategy vous tiendra en haleine, surtout si les tunnels de dialogues, quelque peu ampoulés, ne vous font pas peur. Sans être un véritable écueil, reconnaissons tout de même que les développeurs auraient sans doute gagnés à être plus inspirés en offrant à leur jeu un meilleur équilibre entre phases narratives et affrontements. Pour autant, il est indéniable que l’histoire de Triangle Strategy reste l’un de ses points forts en mettant en avant un gigantesque conflit géopolitique s’articulant autour des denrées maîtresses du continent de Norzélia : le sel et le fer. Débutant par une guerre ouverte entre Glenbrook, représenté par le prince Roland, secondé de son ami de toujours Serenor (héros de l’aventure), et Aesfrost, le scénario ne tardera pas à y injecter un troisième intervenant, autrement dit le royaume d’Hyzante, dont la religion, fondée autour du culte d’une déesse et de son mystérieux oracle trônant au sommet du groupe des Sept Saints, alimentera la guerre à venir.

Epique, tragique et pleine de surprises, l’histoire tient véritablement en haleine même si on lui reprochera certains passages enfonçant des portes ouvertes ou plusieurs personnages esquissés, aspect plus ou moins logique compte de l’aspect choral du jeu. D’un autre côté, on saluera l’idée de donner à l’ensemble des personnages jouables un passé, qu’on découvrira à travers des séquences optionnelles, afin de leur offrir un brin de backstory et donc de les rendre plus attachants. On savourera alors l’avancée du scénario ne perdant jamais une occasion de pointer du doigt les différences entre les classes sociales, le totalitarisme, les dangers de la religion ou bien encore les souffrances des peuples en temps de guerre.

Qu’on fait les meilleures features

Pour supporter un scénario aussi ambitieux, il fallait un gameplay des plus solides. Artdink l’a bien compris et sur ce point, leur jeu n’a nullement à rougir face à ses illustres aînés. Tout en reprenant les bases communes du RPG tactique (gestion de l’équipement, capacités complémentaires des combattants, pourcentages de réussite en fonction de l’endroit où se trouvent nos personnages…), Triangle Strategy amène quelques petites nouveautés dynamisant les affrontements.

Citons par exemple les Atouts permettant de faire revivre un personnage tombé au combat, d’immobiliser un ennemi ou bien encore de garantir un coup critique. Néanmoins, avant de pouvoir les utiliser, vous devrez les acheter dans votre camp, accessible entre chaque mission. C’est d’ailleurs ici que vous aurez l’occasion de faire le plein d’items, d’équipements ou même d’obtenir argent, points de compétences et expérience via différentes simulations de combat dont le niveau augmentera en fonction de l’avancée de l’intrigue. C’est également au camp que vous aurez la possibilité de débloquer des skills pour vos personnages. A ce sujet, si il est impossible de faire changer de « job » à vos héros, ceux-ci pourront acquérir de plus en plus de techniques en évoluant au sein de leur propre classe. Il sera aussi possible d’obtenir des améliorations passives avec, par moments, des choix à faire lors de certains paliers afin d’orienter légèrement l’orientation de vos guerriers.

Bien que Triangle Strategy ne soit pas le RPG tactique le plus difficile au monde (il n’intègre pas, à l’inverse d’un Fire Emblem, de permadeath), il conviendra cependant de prendre le temps nécessaire pour bien préparer votre équipe pouvant compter jusqu’à huit membres. C’est seulement comme ceci que vous viendrez à bout des combats les plus ardus. Cependant, vous aurez la possibilité lors de certaines batailles d’interagir avec le décor pour vous simplifier la tâche. Si certaines manipulations s’avéreront sans danger (utiliser des chariots dans une mine pour bouger plus rapidement et, avec de la chance, blesser un adversaire présent sur un rail), d’autres en revanche pourront impacter sur la meilleure fin du jeu. Ainsi, si vous décidez d’utiliser des pièges dissimulés dans un village lors d’une des premières batailles afin de brûler des groupes d’ennemis, le fait de réduire en cendres les maisons de votre peuple ne sera pas sans conséquence. Une excellente idée renforçant à nouveau la notion de choix.

Le reste consistera, comme dans tout bon jeu de ce type, à essayer d’anticiper la réaction de vos ennemis, en prévoyant vos actions pour les éliminer le plus rapidement possible. Pour se faire, il conviendra d’utiliser la timeline visualisant vos tours et ceux ennemis et agir en conséquence afin, par exemple, de bloquer la prochaine attaque adverse. Rien de bien neuf sous le soleil mais toujours aussi efficace. De même, en usant des capacités de vos combattants, ou de la position de ces derniers, vous pourrez prendre vos ennemis en tenailles, les charmer, les empoisonner ou bien encore faire tomber de la pluie sur le terrain puis lancer un sort de foudre afin de toucher plusieurs soldats. De multiples possibilités accentuées par le nombre conséquent de personnages une fois encore. Notons toutefois que malgré quelques soucis de visibilité liées aux forces présentes sur la zone de combat et autres indications visuelles (zone de déplacement, pourcentages de hit, etc), le fait de pouvoir zoomer/dézoomer, incliner la caméra et la tourner à 360° minimisera ce ressenti.

Bis repetita

Le jeu ayant beaucoup à offrir, on ne se fera pas prier pour en profiter un peu plus à travers le New Game +. Loin d’être anecdotique, celui-ci vous permettra même d’avoir plusieurs points de vue sur l’histoire puisqu’on dénombre pas moins de quatre fins. Pour voir chacune d’entre-elles, il vous faudra bien sûr remplir des conditions spécifiques ou faire des choix à certains moments clé de l’histoire. Outre la possibilité de monter vos personnages au maximum et de récupérer les skills qu’il vous manque, vous aurez la possibilité de voir l’ensemble des chemins proposés mais aussi et surtout de rencontrer jusqu’à neuf nouveaux combattants. Une carotte extrêmement tentante d’autant que le jeu profite d’un character design réussi et que la complémentarité des personnages permet des approches vraiment différentes en combat. D’ailleurs, il est intéressant de noter que si quelques personnages semblent, de prime abord, peu utiles (Hossabara, Picoletta, Lionel…), leurs derniers skills pourront parfois être salutaires à l’image de Medina pouvant offrir un TP (indispensable pour utiliser sorts ou techniques) à n’importe quel personnage qu’elle soigne. Bref, outre la possibilité de gonfler les rangs de votre équipe, ce surplus de personnages aura le mérite d’allier l’excitation de la découverte à la praticité d’une équipe encore plus équilibrée.

Outre ses nouveaux personnages, le New Game + vous proposera également de découvrir de nouveaux lieux, aussi envoûtants que chargés de détails. Très riche visuellement (autant dans ses ambiances, effets spéciaux ou pluralité de personnages, principaux comme secondaires), Triangle Strategy vous montrera un nouveau visage au fil de vos parties qui s’avéreront aussi exaltantes (d’autant qu’on aura tôt fait d’accélérer les dialogues déjà entendus pour aller à l’essentiel) que difficiles puisque le niveau des ennemis sera basé sur celui de vos guerriers. Au final, l’envie de redécouvrir cet univers primera et c’est avec grand plaisir qu’on enchaînera les affrontements en modifiant notre stratégie tout en optant pour de nouveaux choix modifiant notre orientation (moralité, utilité ou liberté) influant elle-même sur la fin du jeu. Une sorte de cercle vertueux synonyme de plus d’une centaine d’heures de jeu mais comme on dit : quand on aime…

Trop bavard et devant supporter quelques soucis de lisibilité ou de gestion d’équipement, Triangle Strategy n’en reste pas moins un RPG tactique de haute volée qu’il serait dommage de laisser passer si vous aimez le genre. Profitant d’un scénario complexe et d’un aspect choral lui offrant autant de figures tutélaires pour le bien-être de l’histoire que de personnages jouables amenant un aspect stratégique des plus délectables, le titre d’Artdink s’avère aussi passionnant à suivre qu’à jouer. Un titre non exempt de défauts mais véritablement fascinant dans son envie d’immerger le joueur, de le placer face à des choix cornéliens tout en imbriquant histoire et gameplay dans un grand tout synonyme d’un des New Game + les plus intéressants jamais vus.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

À lire aussi...