Trek to Yomi : Un périple aussi inspiré que classique

Déjà à l’honneur dans Ghost of Tsushima, Akira Kurosawa s’offre un nouvel hommage via le petit monde du jeu vidéo. Outre un somptueux écrin en Noir & Blanc, Trek to Yomi s’inspire en effet des thématiques chères au maître japonais et nous offre un voyage, superbe visuellement mais qui aurait sans doute mérité d’être un peu plus travaillé dans le fond. Récit d’un voyage aux confins du monde des morts.

Tout débute par un flash-back mettant en scène le jeune Hiroki et son maître Sanjuro. Comme dans toute bonne tragédie à venir, une menace, ici synonyme de bandits, pointe le bout de son sabre et s’en prend aux habitants du village bordant le temple de Sanjuro. Ce dernier se charge alors de mettre un terme à l’invasion mais ploiera sous les coups des assaillants, et le regard impuissant du jeune garçon. Quelques années plus tard, nous retrouvons l’élève devenu adulte qui va devoir faire face à une nouvelle attaque planant sur le village voisin de Kamikawa. Ceci marque le début de l’épopée à venir durant laquelle Hiroki se battra pour retrouver Aiko, la fille de Sanjuro mais aussi et surtout son amour de toujours qu’il entend bien sauver, en arpentant les enfers si il le faut.

Tout en se parant d’une trame somme toute classique, Trek to Yomi expose ses enjeux en l’espace de quelques minutes afin de mieux définir son concept : un jeu en scrolling horizontal, simple dans son approche mais à l’esthétique somptueuse rendant de vibrants hommages à Akira Kurosawa tout au long de son aventure, autant dans la forme (via divers clins d’oeil allant de certains noms aux drapeaux entrevus dans Les 7 Samouraïs…) que dans le fond en brassant des thèmes abordés par Kurosawa à commencer par la relation entre le maître et l’élève, la souffrance d’un peuple (ici les habitants des villages assiégés) ou bien encore le héros solitaire devant braver d’innombrables dangers au péril de sa vie. Par ailleurs, ce dernier point est ici exacerbé puisque Hiroki ira jusque dans le monde des morts (le Yomi du titre) pour retrouver Aiko.

En soi, Trek To Yomi conserve un côté esthétiquement fascinant du début à la fin de par son habileté à jouer avec les ombres (via des contre-jours pour donner plus de profondeur -dans tous les sens du terme- aux duels à venir, des formes se découpant derrière des paravents, etc), et les choix de ses angles de vue parvenant très souvent à surprendre le spectateur/joueur tout en mettant en avant la minutie de ses décors allant de la campagne japonaise aux forêts noyées dans la brume en passant par le monde des morts peuplé de créatures cauchemardesques. Si le titre subjugue dans la forme (surtout si l’on excepte la modélisation simpliste des personnages), il est malheureusement déjà plus critiquable quand on s’attarde sur son histoire, trop classique pour surprendre. Certes, les développeurs ont voulu rendre un hommage à Kurosawa en brassant ses centres d’intérêt mais le revers de la médaille est qu’à aucun moment, le titre des Polonais ne cherche à aller plus loin que ses modèles. Bien que l’histoire de vengeance soit le moteur parfait pour un beat’em up auréolé de la philosophie du samouraï, il y avait sans doute matière à développer un peu plus la personnalité d’Hiroki et ce malgré les diverses fins à disposition synonyme de quelques choix moraux à réaliser à divers moments de l’aventure.

Le constat est d’ailleurs similaire quand on aborde le gameplay, riche en apparence mais limité par quelques errances de game design. De fait, si on récupérera la plupart des techniques d’attaque et de défense en progressant (certaines étant uniquement disponibles en fouillant chaque recoin des différents niveaux), Trek to Yomi souffre d’un énorme sentiment de redondance tout au long des six heures nécessaires pour boucler l’aventure. Le bestiaire étant très limité, les ennemis ne font que se succéder au fur et à mesure de notre avancée, seul leur nombre, de plus en plus grand, constituant une évolution dans le challenge proposé. Constat terriblement frustrant car comme mentionné plus avant, la panoplie d’attaques au sabre s’avère conséquente d’autant que combinée à diverses armes (arc, kunais, fusil), il y avait moyen de proposer des situations plus variées.

Malheureusement, à l’exception de quelques tentatives (destruction d’éléments du décor pour éliminer des grappes d’adversaires, énigmes) aussi limitées que vaines, le jeu s’enferme dans une redite de laquelle quelques combats de boss et une ou deux séquences en temps limité ne sauraient l’en sortir. Il est également dommage que l’art du combat lui même soit mal calibré. En effet, bien que la panoplie de coups soit conséquente, le fait que les ennemis aient la mauvaise habitude de casser nos combos, ceci nous obligera à anticiper l’arrivée des adversaires et à frapper dans le vide afin que le coup étourdissant l’adversaire fasse mouche avant de pouvoir l’occire proprement. Peu raccord avec la philosophie du samouraï où chaque coup compte et incitant surtout le joueur à n’utiliser que deux ou trois coups, cette technique marchant avec quasiment tous les ennemis.

Certes, la possibilité de jouer en mode Kensei (dans lequel chaque coup s’avère mortel) pourra légitimer une deuxième ou troisième run (pour qui souhaiterait voir toutes les fins) mais même ici, nous n’atteignons jamais l’effet escompté que le pourtant très ancien Bushido Blade avait, lui, parfaitement réussi à capter. En résulte un sentiment de frustration tant Trek to Yomi aurait pu proposer une expérience bien plus convaincante si il avait pris le temps de peaufiner divers aspects de sa personnalité tout en maîtrisant davantage son rythme. Au final, un coup de sabre dans l’eau provoquant autant de remous qui s’estomperont aussi rapidement qu’ils sont apparus.

Aussi inspiré soit-il dans ses décors, Trek to Yomi manque malheureusement d’inventivité dans sa narration ou même ses situations pour durablement marquer. Somptueux dans la forme mais diablement limité dans le fond, le jeu de Flying Wild Dog hypnotise dans ses premiers instants et la plupart de ses plans, aussi travaillés dans leur composition que le placement de la caméra, mais finit par perdre de sa puissance à mesure qu’on avance, la faute à des combats se ressemblant tous malgré la panoplie de coups et l’histoire, trop peu développée pour pleinement convaincre.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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