Les bonnes adaptations de jeux vidéo se font rares, très rares même et ce n’est certainement pas Resident Evil qui nous dira le contraire. Chapeautée par Craig Mazin (l’excellente mini-série Chernobyl) et Neil Druckmann (cocréateur de la licence), produite par HBO, The Last of Us avait de sérieux atouts dans sa manche. Après avoir abattu ses cartes, un constat s’impose au terme des neuf épisodes constituant cette première saison : la franchise de Naughty Dog a réussi son examen de passage tout en semblant étrangement pressée d’en finir.
Plébiscitée par des millions de joueurs pour sa qualité d’écriture, la franchise The Last of Us n’aura jamais caché ses liens de parenté avec le cinéma, de par, notamment, son envie de proposer une réalisation inspirée servant aussi bien la progression de l’histoire que le traitement de ses personnages. Si on pouvait donc se questionner sur l’intérêt d’une adaptation d’un jeu aussi cinématographique, l’envie de toucher un nouveau public était en soi une réponse suffisante. En revanche, difficile, quand on a plusieurs heures de jeu au compteur, de ne pas comparer la série avec le matériau original, qu’on soit enclin ou non à se laisser porter par une histoire qu’on connait déjà sur le bout des doigts.
The Last of Us Part I
Si l’exercice consistant à trouver le point d’équilibre entre le besoin de reprendre le cheminement du jeu et l’envie d’aller de l’avant en modifiant certaines choses était délicat, les showrunners s’en sont brillamment sortis. En effet, alors que les passages obligés (l’introduction, le flash-back d’Ellie & Riley, l’apparition du Colosse…) sont bel et bien présents, les scénaristes ont modifié certaines choses afin d’apporter un peu de sang neuf. On pensera notamment aux courts passages pré-pandémie afin de présenter la situation à travers les yeux des médias et autres virologues. Astucieux puisque permettant de dépeindre le tableau de cette humanité désemparée face à ce mal qu’elle sait ne pas pouvoir contrôler et trouvant écho dans la récente pandémie de Covid. Au fur et à mesure des épisodes, Mazin et Druckmann vont ainsi affiner leur univers tout en faisant progresser Joel et Ellie à travers une partie des Etats-Unis, le premier devant toujours ramener à bon port la seconde, seul espoir de l’humanité pour lutter contre le virus. D’ailleurs, on notera ici une autre modification du script initial voulant que les Clickers, créatures infectées par le Cordyceps, soient psychiquement reliés entre eux. Idée intrigante qui ne sera malheureusement que rarement utilisée, hormis lors de la mort d’un personnage luttant contre l’infection galopante qui parcoure ses veines et l’enjoint à rejoindre le groupe d’infectés et celle d’en finir.
Alignant les plans post-apo de villes en friche, présentant les rapports entre la FEDRA (les restes d’un gouvernement devenu totalitaire n’hésitant jamais à tirer sur des individus, infectés ou non) et le groupe des Lucioles, survivants croyant coûte que coûte à un vaccin et dont Ellie représente une sorte de Saint Graal, la série presse le pas pour arriver à sa conclusion mais prend néanmoins le temps, à travers un fantastique Episode 3, de s’attarder sur la relation entre Frank et Bill. Esquissée dans le jeu, elle sert dans la série à montrer une autre facette du monde d’après, à rappeler que le bonheur peut encore subsister tout en renvoyant à une sorte de version fantasmée (et tragique) de l’histoire d’Ellie. Brillamment interprété par Nick Offerman et Murray Bartlett, l’épisode aura fait couler beaucoup d’encre sur la toile tout en se montrant puissant et représentatif de cette envie de s’affranchir, dans une certaine mesure, de la série.
Bien entendu, tout ceci n’aurait pas été possible sans un casting à la hauteur et bien que le choix de Bella Ramsey ait été vivement critiqué par une partie des fans, la jeune femme (qui nous avait déjà livré une prestation époustouflante dans Game of Thrones) s’en sort avec les honneurs grâce à un jeu évoluant au fil des épisodes à l’image de sa relation avec Joel campé par un solide Pedro Pascal. Si on ne peut tout de même s’empêcher de se demander ce qu’aurait pu donner dans le rôle Maisie Williams (la Arya Stark de GoT), un temps pressentie pour le rôle d’Ellie dans une première tentative d’adaptation de la série en film (produit par Sam Raimi) en 2015, difficile de rester de marbre face au jeu des acteurs, qu’ils soient principaux ou plus fugaces à l’image de Scott Shepherd incarnant parfaitement le controversé David qui gagne ici en spiritualité afin de cacher ses pulsions derrière le masque de la foi. Pour autant, cet arc est très représentatif de ce qui ne va pas dans la série semblant constamment dans l’urgence afin de pouvoir faire rentrer l’ensemble du premier jeu dans cette unique saison composée de neuf épisodes à la durée variable.
The Last of Us Part IX
Ainsi, si il y avait matière à développer l’intrigue de David sur deux épisodes, il est vrai que la série aurait gagné à globalement être rallongée voire couvrir le premier jeu sur deux saisons. Difficile de savoir pourquoi les showrunners se sont sentis obligés de prendre le chemin inverse tant le succès était pressenti. Ce dernier sera d’ailleurs au rendez-vous avec des audiences croissantes. De fait, si le visionnage de la série reste agréable et qu’il est plaisant de constater que HBO a mis les petits plats dans les grands (bien que certains plans à vfx soient peu convaincants), l’évolution de la relation entre Ellie et Joel semble parfois factice, la faute à un monde manquant cruellement de danger alors que c’est ce qui cimente pourtant dans le jeu les rapports entre les deux personnages qui, plus d’une fois, se sauvent mutuellement.
Dans la série de HBO, la violence se fait bien plus timorée, se déroulant souvent hors champ, les humains sont moins vicieux (hormis lors de la présentation de la FEDRA), les infectés sont beaucoup moins présents et semblent presque faire de la figuration en dehors de deux épisodes, l’un les présentant lors d’une séquence dans un musée calquée sur celle du jeu et l’autre à travers une scène d’action épique mais semblant presque posée là pour atteindre le quota minimum de créatures massacrant alliés comme ennemis à commencer par Kathleen, l’un des rares personnages inédits du show n’apportant rien à l’intrigue et finissant d’ailleurs de façon insignifiante. En somme, là où il aurait fallu davantage de moments de tension (synonyme de phases de gameplay dans le jeu) pour crédibiliser l’état de Joel, d’indifférent vis à vis d’Ellie à quelqu’un prêt à sacrifier le monde pour sauver la jeune fille, la série aura préféré miser sur une construction plus posée (et donc moins couteuse), passant par le jeu d’acteur mentionné plus avant, de bons dialogues et les musiques discrètes mais oh combien importantes de Gustavo Santaolalla, mais ne parvenant pas totalement à camoufler les manques par rapport au matériau d’origine.
Bien que la série soit une adaptation convaincante de The Last of Us, votre ressenti différera probablement si vous avez touché ou non au jeu. Alors que Druckmann et Mazin se sont évertués à plaire aux profanes comme aux fans en truffant (habilement) cette saison de références au titre tout en soignant les dialogues et le casting, difficile d’être totalement convaincu, la faute à un empressement constant, des créatures finalement peu présentes et un univers manquant parfois de substance, de danger pourtant indispensable pour légitimer l’évolution de la relation entre Ellie et Joel.