Bien que sorti dans plusieurs éditions sur diverses machines, The Last of Us procure toujours cette même fascination malgré les années qui passent. Récit poignant et violent de deux personnes liées par le destin dans une Amérique post-apo ne laissant aucune chance aux plus faibles, le titre de Naughty Dog sacralise comme aucun autre jeu sa narration au service d’une aventure sans concession. Logique que toutes ces qualités se retrouvent dans ce remake portant les fruits de Part II dont il se rapproche d’un point de vue visuel. Une bonne occasion pour le (re)découvrir sur PS5 à travers la magnifique restauration effectuée par les équipes de développement.
Si vous aimez les jeux d’action/aventure, il y a de fortes chances que vous ayez déjà parcouru en long et en large le premier The Last Of Us, que ce soit sur PS3, PS4 ou PC. Dès lors, compte tenu du prix de 80 euros, y’a-t-il un intérêt à racheter cette version synonyme de restauration complète, de gameplay légèrement retouché, de bonus concernant la création de Part I et Part II mais aussi du magnifique DLC The Left Behind ?
Sur ce point, je vous laisserai seul juge d’autant qu’il me semble plus judicieux de faire abstraction du prix pour parler d’une œuvre aussi forte sachant qu’un prix de vente ne reflète pas nécessairement la qualité d’un jeu, qu’il soit bon ou mauvais. Le débat est bien entendu ouvert, il existe plusieurs façons de penser la chose, surtout dans le cadre d’une review, mais retenez qu’en lisant les lignes ci-dessous, vous aurez quelques éléments de réponse pour savoir si le titre vous paraît suffisamment intéressant pour repasser à la caisse. Une fois sorti de ces considérations pécuniaires, l’important est de savoir si aujourd’hui encore, le premier volet de la saga de Naughty Dog est toujours aussi indispensable pour, entre autres, celles et ceux qui voudraient se forger une culture vidéoludique.
ATTENTION toutefois, puisque pour les besoins de cet article, j’évoque l’ensemble des événements du jeu, fin comprise. De fait, si seule la restauration vous intéresse, veuillez vous reporter au paragraphe dédié.
Des personnages que tout oppose au service du drame à venir
Formant désormais un véritable dyptique jusque dans son nom avec The Part II, The Part I s’axe plus que jamais autour de ses deux personnages principaux, Joel et Ellie. Il est d’ailleurs bon de rappeler que ce n’est pas avec son gameplay mixant, sans grande originalité mais avec une vraie efficacité, infiltration et action, ni même son univers, renvoyant à celui du film Je Suis une Légende, que le jeu a acquis ses lettres de noblesse. Si le titre a autant marqué, c’est bel et bien grâce à son écriture, le développement de ses personnages, son couple d’acteurs vedette, Troy Baker et Ashley Johnson, ou bien encore les magnifiques compositions de Gustavao Santaolalla (21 Grammes, Le Secret de Brokeback Mountain) offrant au jeu une véritable identité musicale.
Chaque choix de Straley et Druckmann (également scénariste du jeu) est mûrement réfléchi. Chaque élément, chaque idée participent à la construction de l’histoire et au vécu des personnages qui va influer sur les décisions qu’ils seront amenés à prendre. Dès le départ, The Last of Us définit le personnage de Joel comme un homme prêt à tout pour protéger ceux qu’il aime. Avec son introduction menée tambour battant, les deux réalisateurs décrivent, dans un style proche d’un reportage de guerre, la fuite de Joel et de sa fille Sarah à travers une ville en proie aux flammes et à des attaques d’infectés. Passant d’une scène chaleureuse, afin de cimenter l’attachement du père pour sa fille, à une conclusion glaçante voyant la mort de Sarah, le jeu affiche rapidement ses ambitions : nous surprendre pour mieux nous retourner émotionnellement, en nous faisant comprendre à quel point tout peut arriver dans ce monde en friches, que personne n’est à l’abri.
En retrouvant le personnage 20 ans plus tard, alors que la pandémie a ravagé le monde entier, il est inutile de se perdre en explications superflues pour décrire l’état mental de Joel. Lorsqu’il accepte de conduire Ellie au groupe des Lucioles à l’autre bout des Etats-Unis, l’homme a perdu tout ce qui avait de l’importance pour lui et ne fait que survivre en acceptant des jobs à la morale douteuse. Ellie n’est rien pour lui et c’est via l’évolution de cette relation que The Last of Us va décrire le parcours mental de ses deux personnages. L’idée de Neil Druckman est ici de confronter ces deux êtres que tout oppose. Joel a connu la civilisation passée et ne voit plus rien de beau dans le monde actuel alors qu’Ellie le découvre et s’émerveille d’un rien. Elle demeure en cela très proche du joueur, ceci étant plus vrai pour cette Part I. Toute cette dualité, cette complémentarité, fait le charme de ce premier volet qui, à travers ce rapprochement, va progressivement amener Joel à redevenir l’homme qu’il était, même si cela doit impliquer des choix douloureux.
Assister et subir émotionnellement pour le bien de l’histoire
C’est d’ailleurs l’un des points intéressants de The Last of Us qui ne permet pas aux joueurs de prendre leurs propres décisions, à l’inverse d’autres titres proposant par là même de faire évoluer la morale du personnage. Le jeu de Naughty Dog est en quelque sorte l’antithèse des The Walking Dead de Telltale Games dont l’objectif était justement de nous laisser la possibilité de faire quantité de choix afin de changer, dans une certaine mesure, la fin des épisodes mais aussi et surtout de nous permettre d’être plus en accord avec les actions de Clémentine et donc de créer davantage d’empathie. Ici, le joueur n’a d’autre choix que d’accepter les réactions d’Ellie et de Joel. Lorsque ce dernier choisit de tuer des gens innocents dans l’hôpital pour sauver Ellie, on comprend son acte sans pour autant légitimer ses motivations égoïstes. Quand il ment à celle-ci car il sait que la jeune fille ne pourra accepter ce qu’il a fait, on éprouve un sentiment paradoxal de colère et de soulagement. The Last of Us est difficile à accepter dans ses prises de position mais nous fait comprendre que tout est une question de point de vue et que notre vécu nous définit et nous pousse à faire des choix qui peuvent nous sembler justes… Même lorsqu’il s’agit de sacrifier l’avenir de l’Humanité.
Ce n’est donc pas le joueur qui est maître du destin des personnages mais bel et bel et bien leurs créateurs. C’est en cela qu’on peut vraiment qualifier The Last of Us de blockbuster d’auteur. Tout en ne déviant nullement de sa narration initiale, le titre déploie en parallèle d’énormes moyens pour crédibiliser son univers. Sa production n’a rien à envier à celle des blockbusters cinématographiques auxquels il emprunte un compositeur, une direction d’acteurs et des montées d’adrénaline régulières synonyme de séquences d’action explosives ou de passages horrifiques chargés de tension. Prenant le meilleur du cinéma et du jeu vidéo, ce premier volet accentue qui plus est l’immersion et l’empathie à travers des idées intelligentes comme celle de nous faire incarner Sarah lors du prologue (et donc de multiplier l’impact émotionnel lors de sa mort) puis Ellie, en milieu de partie, soit les deux «filles» de Joel.
Une réalisation au diapason…
Usant au mieux de la narration environnementale pour affiner les sentiments des protagonistes, le jeu ne cesse de déployer des trésors d’ingéniosité pour dépeindre l’évolution de ses acteurs. Comme nous le disions quelques lignes plus haut, le choix de Troy Baker (comédien de doublage chevronné) et Ashley Johnson (ayant débuté en 1990 dans le Full Contact de JCVD) participe grandement à la réussite du titre. La performance physique et vocale des acteurs était essentielle pour provoquer l’émotion recherchée et sur ce point, c’est une totale réussite, aussi bien en VO qu’en VF grâce aux excellentes performances d’Adeline Chetail et Cyrille Monge.
On retrouvera d’ailleurs l’ensemble de ses qualités dans le DLC Left Behind, prélude à l’aventure originale se concentrant sur Ellie et Riley, meilleure amie et premier amour de la jeune fille. Reflet du jeu de base, Left Behind synthétise à merveille ses meilleurs aspects via une écriture soignée et quelques trouvailles des plus poétiques à l’image de la séquence du jeu d’arcade durant laquelle Riley décrit à une Ellie fermant les yeux et agrippée aux joysticks de la borne, une partie imaginaire.
… Sublimée par la restauration
Tous ces atouts sont ici magnifiés par la forme synonyme d’un incroyable travail de restauration de la part des équipes de Naughty Dog. A travers les jeux de lumière, les expressions faciales, des effets gore accentuant la brutalité des gunfights, les décors, on redécouvre le titre se rapprochant du niveau technique de The Part II. Dès lors, la forme se met comme jamais au service de l’écriture en créant encore plus de compassion pour les personnages qu’ils soient issus du jeu original ou de Left Behind, tout en magnifiant l’émotion inhérente à certains dialogues. Au delà de la gestion de la DualSense (gachettes adaptatives et retour haptique), de multiples options d’accessibilité, déjà présentes dans la Part II, et d’un (totalement anecdotique) mode Speedrun, on saluera également l’idée d’avoir intégré plusieurs making-of du jeu ainsi qu’une série de podcasts, déjà publiée sur Spotify, revenant sur la création des deux titres en compagnie des acteurs, scénaristes et réalisateurs. Un excellent moyen pour plonger au cœur de l’aspect créatif.
Quand le jeu vidéo fait son cinéma
Sans chercher à s’affranchir de son but premier, divertir, The Last of Us parvient à conjuguer l’action et le frisson à une vision d’auteur ne cédant jamais aux poncifs du genre. Bien que s’articulant autour d’une progression classique, le titre ne délaisse en aucun cas ses personnages à qui il offre une conclusion aussi poignante qu’ambiguë. S’inspirant à nouveau du cinéma, et plus particulièrement du film La Route de John Hillcoat, la fin sonne comme un véritable coup de massue lorsqu’Ellie demande à Joel ce qui s’est passé dans l’hôpital dont il l’a extirpé. Optant pour un simple dialogue en champ contre-champ, Druckmann et Straley misent à nouveau sur leur écriture et la prestation de leurs acteurs pour faire vivre la scène. Ellie écoute le récit de Joel et sans rien laisser paraître sur son visage, ne lui offre qu’un laconique «Ok» en guise de réponse. Plus puissante que n’importe quelle scène d’action, cette conclusion laisse ainsi aux joueurs le soin de l’apprécier comme ils l’entendent tout en remettant en avant les fondamentaux de The Last of Us : créer l’émotion et susciter la réflexion, choses dont très peu de blockbusters vidéoludiques peuvent se targuer.
En soi, The Last of Us s’apparente plus à un film, du point de vue narratif, et reflète les ambitions cinématographiques de Naughty Dog. Avec ce titre, le scénariste Neil Druckmann conçoit un jeu plus personnel à l’intérieur d’une structure de AAA. En choisissant un angle plein de noirceur, presque nihiliste, le jeu synthétise ce besoin d’aller plus loin, de prouver qu’il est possible de concilier grandes ambitions artistiques et écriture intimiste. Avec TLOU, les Californiens positionnent leur oeuvre au niveau de ses illustres modèles et cherchent en quelque sorte à anoblir le jeu vidéo qui n’a plus à rougir de la comparaison avec le septième art.
Encore plus fascinant que par le passé grâce à la restauration de Naughty Dog, The Last of Us Part I procure tout un flot de sentiments (peine, effroi, colère) nourrissant un récit toujours aussi poignant, surtout lorsqu’on sait vers quoi les événements vont inextricablement nous amener. Proposant de multiples bonus permettant de mieux cerner la création de ce jeu iconique, cette version s’avère indispensable dans ce qu’elle apporte de plus et ce qu’elle entretient à commencer par une histoire puissante dans un univers plus brutal que jamais.