Voir la Team Ninja proposer un open world n’a en soit rien de vraiment surprenant. On serait même tentés de dire que c’est une évolution logique pour ce studio qui a débuté avec des beat’em all hardcore (Ninja Gaiden) avant de s’engouffrer dans le Souls-like avec Nioh et Wo Long: Fallen Dynasty. Rise of the Ronin intègre ainsi les connaissances acquises avec ces titres tout en s’inspirant de quantité d’autres d’oeuvres qu’elles émanent d’Ubisoft ou des studios Sony. Pourtant, malgré de la bonne volonté, le jeu ploie sous le poids de ses ambitions et se retrouve souvent asphyxié par son envie de bien faire à tout prix.
RACONTE MOI UNE HISTOIRE
Si le Japon féodal a donné lieu à des oeuvres diverses et variées, la plupart s’évertuaient à prendre la matière originale afin de l’utiliser dans des mondes nimbés de fantastique (Onimusha, Nioh) ou pour en utiliser la philosophie du samurai (Bushido Blade). Ghost of Tsushima aura également marqué de son empreinte l’industrie en proposant un open world enivrant, contemplatif et inspiré par le cinéma de Kurosawa. Afin de se démarquer, et sans doute par fierté, la Team Ninja n’a pas choisi la solution de facilité pour son premier open world en optant pour la dimension historique. De fait, bien que le scénario s’attarde sur deux personnages fictifs, les Lames secrètes qu’on devra au préalable créer (en profitant d’un niveau de customisation assez poussé), la trame narrative se base sur un tournant de l’histoire du Japon alors que le pays entre dans une phase d’ouverture au monde. Débutant en 1853 pour se terminer en 1868, c’est une véritable épopée à laquelle nous convient les développeurs.
Pour ce faire, le studio a vu grand puisqu’on y trouve une quantité impressionnante de personnages à commencer par 32 d’entre eux qu’il sera possible d’enrôler et d’incarner lors des missions se déroulant généralement à trois combattants. Mêlant véracité historique, faits inventés sans parler des dialogues à choix multiples (qui n’impactent pas vraiment grand chose), l’histoire se laisse suivre bien qu’elle se montre rapidement complexe tant les protagonistes et événements sont nombreux. On pourra également reprocher au scénario de trop souvent s’appuyer sur les mêmes ressorts dramatiques à commencer par l’affrontement desdites Lames secrètes. Ainsi, cette dualité, basée sur leur amitié et des choix politiques opposés, finira par lasser et perdre en émotion d’autant qu’on comprendra très vite où tout ceci veut nous mener.
LE GUIDE DU PETIT OPEN WORLD
Bien que Rise of the Ronin contienne un glossaire pour ne manquer aucune information au sujet des personnes rencontrées, des lieux visités ou des mécaniques de gameplay se débloquant au fur et à mesure de la centaine d’heures qu’il vous faudra pour platiner le jeu, l’impression d’étouffer sous la masse de contenu prend rapidement à la gorge. Aussi paradoxal que ça puisse paraitre, la force de Rise of the Ronin (son ambition et son envie de faire aussi bien que ses concurrents malgré son statut de challenger) devient un de ses plus gros défauts. En effet, l’aventure intègre tellement d’informations de toutes sortes qu’on a parfois l’impression d’effleurer certains aspects, par envie voire par oubli. Ainsi, j’ai par exemple totalement fait l’impasse sur certains aspects (la location de chats, le jardinage) tant c’est anecdotique. Que dire également du loot médiocre qu’on obtiendra continuellement alors même qu’on a de l’équipement de meilleure qualité ? Cet aspect représente d’ailleurs bien l’inexpérience du studio dans la façon d’aborder certains aspects d’un open world.
Ainsi, à mesure qu’on progressera dans les trois régions (Yokohama, Kyoto et Edo) elles-mêmes subdivisées en zones, le titre nous proposera des missions principales (faisant avancer l’histoire), de liens (pour renforcer ceux avec vos alliés pour gagner divers bonus), de Ronin mais aussi des objectifs secondaires (photos à prendre, chats à trouver, jeu de dès…), des fugitifs à éliminer, des quartiers à libérer du joug de voyous, des événements aléatoires, etc. A chaque fois que vous terminerez l’un d’entre eux, vous récupérerez donc du loot (armes, gadgets, pièces d’armures, talismans, matériaux…) de niveau plus ou moins élevé avec des caractéristiques spécifiques. Si au tout départ, on s’amusera à comparer nos équipements, on laissera rapidement tomber tant le tout est abusif. On se contentera alors de tout revendre pour engranger de l’argent.
Vous pourrez alors augmenter le niveau de votre stuff mais aussi prendre certaines compétences d’une arme (davantage de PV, résistance accrue au poison, attaque plus puissante…) pour l’intégrer sur une autre. Ici aussi, on pourra passer outre cette possibilité tant les armes qu’on obtiendra durant les missions principales suffiront, du moins en mode Normal. Même son de cloches pour les armes à disposition et les styles de combat. Seront disponibles des katana, lances, épées doubles, fusil à baïonnette, etc, ainsi qu’une bonne vingtaine de styles qui augmenteront de niveau en fonction de votre utilisation et vous permettront de débloquer davantage d’attaques. Dans les faits, c’est une excellente chose que le jeu propose autant de variété afin que chacun trouve son propre style mais une fois de plus, l’impression de crouler sous les informations et mécaniques de jeu finit par provoquer un sentiment de satiété. Pourtant, cet aspect provient de Nioh et le moins qu’on puisse dire est que l’approche a du sens et s’avère excitante à plus d’un titre.
LA VOIE DU GUERRIER
En effet, les affrontements de Rise of the Ronin vous demanderont toujours d’être attentifs, surtout face aux nombreux boss. Vous devrez analyser chacun des pattern des ennemis afin de bloquer au bon moment ou de contrer pour placer un combo tout en faisant baisser la jauge de garde de votre adversaire. Bien entendu, il en sera de même pour vous et sachant que chaque esquive, bloc ou attaque fera descendre votre propre jauge, vous devrez parfois prendre la tangente pour faire remontrer cette dernière. Une fois la jauge de l’ennemi vidée, vous aurez alors un court instant pour effectuer une attaque fulgurante. Ainsi, vous devrez alterner entre arme principale et secondaire mais aussi et surtout les trois postures associées à chaque arme pour être plus ou moins efficace face à l’ennemi.
Cependant, le plus difficile sera d’analyser les mouvements adverses pour maîtriser parfaitement le contre et venir à bout des combattants les plus coriaces. Vous pourrez également utiliser deux armes bonus (fusils, pistolets, arc, shurikens, lance-flammes) ainsi qu’un regain de puissance (la flambée de ki) pour vous faciliter la tâche. Pour autant, vous devrez souvent faire preuve de sang-froid d’autant qu’à chaque mort, vous perdrez l’expérience engrangée. Notons tout de même que le tout s’avère bien moins punitif que dans un From Software puisque pour récupérer l’exp perdue, il suffira ici de combattre à nouveau l’adversaire qui nous a éliminé et de lui faire suffisamment de dégâts. Le système fonctionne très bien et apporte au jeu une véritable intensité même si l’infiltration permettra à celles et ceux préférant cette approche de faire place nette, voire de réduire drastiquement la vie d’un ennemi plus puissant avant d’en découdre avec lui en face à face.
AND MUCH MORE…
Rise of the Ronin semble donc avoir pensé à tout afin de proposer une aventure riche et bien construite. On pourra lui reprocher un niveau technique plutôt faiblard mais certainement pas la très grande variété des lieux visités qu’on pourra à loisir découvrir en deltaplane ou à cheval. Il est toutefois amusant de noter que même ici, les développeurs se sont sentis obligés d’ajouter un petit quelque chose en proposant d’acheter de nouveaux chevaux et selles disposant de caractéristiques différentes alors que ça ne sert absolument à rien.
Bref, difficile de critiquer la Team Ninja pour son implication, son envie de bien faire et son immense générosité (précisons par exemple que ce premier open world est entièrement doublé dans plusieurs langues dont le français) et ce jusque dans son endgame avec son mode Nuit Noire, ses défis supplémentaires au dojo ou la possibilité de rejouer aux événements passés pour débloquer l’ensemble des embranchements ou cinématiques d’alliés. Le jeu conserve ainsi un côté fascinant, autant dans ses qualités que ses approximations et erreurs. Bien que n’arrivant jamais au niveau de ses modèles, ce coup d’essai de la Team Ninja reste au final une proposition solide et très agréable manette en mains.
Généreux jusqu’au boutisme, Rise of the Ronin se retrouve souvent confronté à son inexpérience en intégrant des éléments sans trop de cohérence. Que ce soit au niveau de son histoire, de ses (trop) nombreux personnages, des innombrables mécaniques de gameplay arrivant du début à la fin, de son loot trop conséquent ou bien encore de sa technique vacillante, le titre de la Team Ninja subit le poids de ses ambitions ou sa comparaison avec le Ghost of Tsushima de Sucker Punch. Pourtant, malgré ses tares, le jeu a ce «je ne sais quoi» qui nous incite à y revenir. Entre un contexte historique extrêmement riche et un système de combat inspiré de celui de Nioh, on aura de cesse de poursuivre l’histoire des Lames secrètes afin de découvrir ce Japon féodal tout en participant à sa transformation.