Ripley : L’escroquerie élevée au rang d’art

Déjà adapté à plusieurs reprises, le livre de Patricia Highsmith, Monsieur Ripley, s’offre une nouvelle version sous forme de mini-série de 8 épisodes produite par Showtime. Pouvant davantage prendre son temps pour introduire ses personnages, définir la personnalité de chacun et composer afin de faire croitre la tension à mesure que l’étau se resserre autour de son personnage principal, Ripley est une éblouissante réussite devant autant à son somptueux Noir & Blanc, sa réalisation millimétrée que son casting impliqué.

Thomas Ripley est un petit arnaqueur, friand de la fraude aux assurances. Extorsion de personnes vulnérables, fausse identité, rien ne l’arrête quand il s’agit de gagner tant bien que mal sa vie à New York. Pourtant, à mesure qu’il poursuit ses activités illicites, les risques encourus augmentent et la police se rapproche de lui. Survient alors une offre inespérée émanant de Herbert Greenleaf qui le mandate pour aller retrouver son fils en Italie afin de le ramener aux Etats-Unis. L’occasion est trop belle pour Thomas qui quitte alors le pays pour aller à la rencontre de Richard/Dickie, jeune homme séduisant vivant grâce aux deniers de ses parents, adepte de peinture et vivant une idylle avec son amante Marge. Tous les éléments sont en place, la tragédie peut débuter.

Ripley est une mini-série inespérée dans le sens où tout semblait déjà avoir été dit au cinéma. L’histoire est connue, le modus operandi de Thomas tout comme la conclusion de sa fuite en avant. Pourtant, Ripley se montre passionnante du début à la fin, qu’on connaisse ou non l’œuvre originale. Ceci tient tout d’abord à son casting aussi parfait dans ses premiers que seconds rôles. En premier lieu, on retiendra la prestation d’Andrew Scott qui campe à la perfection l’arnaqueur en lui insufflant ce charme vénéneux, cette contenance alors même qu’il s’aventure dans une escalade de meurtres et autres délits. L’acteur était né pour jouer ce rôle et son élégance n’a d’égale que sa perfidie. Pour l’épauler, on retrouve Dakota Fanning (Marge Sherwood) ou bien encore Maurizio Lombardi, à l’aise dans le costume de l’inspecteur Ravini et offrant un intéressant contre-poids à Ripley grâce à une vraie prestance, un regard malicieux et un charisme lors des face à face avec le criminel.

Au-delà du casting, l’un des plus grands mérites de cette réussite revient cependant à Steven Zaillian, showrunner et réalisateur de l’ensemble des épisodes, ainsi qu’au directeur de la photographie, Robert Elswit (There Will be Blood) qui signe ici l’un des plus beaux Noir & Blanc jamais vus dans une série et évoquant par moments l’expressionnisme allemand ou les clair-obscur de Murnau. Zaillian soignant chacun de ses cadrages avec une absolue méticulosité afin de rendre hommage aux nombreux et somptueux décors naturels qu’il filme en Italie (Atrani, Rome, Venise), la maitrise conjuguée des deux hommes permet à Ripley de briller aussi bien sur le fond que la forme, l’un se nourrissant de l’autre afin de dépeindre les émotions des protagonistes. Le résultat est exempt de reproches tant Ripley ressemble le plus souvent à un tableau de maître tout en étant figé dans le temps. On espère d’ailleurs que Netflix ne fera pas l’erreur de Disney qui avait cru bon coloriser son très beau Werewolf by Night quelques mois après sa sortie initiale, sans doute pour plaire à un public plus jeune tout en sacrifiant la vision de ses auteurs qui avaient pourtant rendu un bel hommage aux films de monstres de la Universal.

Si Ripley ne s’inscrit pas dans cette optique référentielle (du moins de prime abord), ses choix esthétiques permettent d’offrir à chacun des protagonistes une aura supplémentaire, que ce soit au détour d’un simple dialogue en champ / contre-champ, les déambulations de Thomas Ripley en Italie ou dans l’exécution méthodique de ses plans. De plus, contrairement au film de 1999, Ripley est montré dès le départ comme un escroc à la petite semaine qui a d’autres ambitions et qui va donc saisir à bras le corps cette opportunité de vivre une vie meilleure en allant jusqu’au meurtre. Son évolution est plus logique que celle de Matt Damon et si l’ambivalence sexuelle du personnage est bien plus timorée (son attirance va davantage à Marge d’autant que ce qui le fascine chez Dickie tient davantage à son statut), sa propension à mentir, à affronter la police avec une vraie suffisance et à se faire passer pour un autre va de pair avec son désir de grandiose, de beau, d’évoluer parmi les nantis.

Si on pourra éventuellement lui reprocher certaines longueurs, surtout lors des premiers épisodes, ou certaines maladresses vers la fin, la proposition de Zallian est tellement hypnotique, dans sa recherche artistique et la façon de traiter son histoire en s’appuyant aussi bien sur l’ADN du roman que la prestance de ses acteurs ou son cadre, qu’on ne s’en formalisera pas le moins du monde. Une excellente surprise donc et assurément l’une des meilleurs mini-séries de ce début d’année toutes plateformes confondues.

Sans redéfinir le matériau original, Ripley offre une version complémentaire à celle des films qu’il l’ont précédé, que ce soit Le Talentueux Monsieur Ripley ou Plein Soleil. Prenant davantage de temps pour définir son personnage principal afin de mieux légitimer cette escalade dans le mensonge et le meurtre, la mini-série de Netflix se pare également d’une esthétique somptueuse synonyme d’un Noir & Blanc tout en clair-obscur et de cadrages millimétrés. Une proposition aussi belle qu’intelligente.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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