Alors que le manga s’est rapidement intéressé au jeu vidéo et plus particulièrement à la Réalité Virtuelle (via des titres comme .Hack ou Sword Art Online), certains ont délaissé l’univers de la fantaisie pour s’intéresser au sujet via son aspect social. C’est le cas du Seinen Ressentiment disponible chez Kioon en deux tomes de plus de 450 pages.
Ressentiment nous conte l’histoire de Takuro Sakamoto, venant fraîchement de fêter ses 30 ans et se rendant compte avec le recul que sa vie sentimentale est un désastre sans nom. Chauve, moche, incapable d’aligner deux mots face à une fille, l’homme désespère d’être célibataire. C’est alors qu’il va se plonger dans le jeu en ligne Unreal, recommandé par son ami Daisaku. Puisant dans ses dernières économies, il achète un PC dernier cri et se paye une copine virtuelle du nom de Tsukiko, jeune, candide et vouée à assouvir tous ses désirs. Va alors s’en suivre une histoire faite de joies mais aussi de frustrations et autres désillusions.
Caricaturer pour mieux critiquer
Le premier effort qu’il faudra faire lorsqu’on s’attaque à Ressentiment consistera à accepter cette caricature d’otaku (d’autant que les proportions des personnages sont volontairement faussées), et accessoirement de célibataire addict au jeu vidéo qui est ici représenté par Takuro mais aussi tous ses amis, plus ou moins identiques à ce dernier. Bien que cet aspect serve le fil du récit (Takuro revêtant une forme plus appréciée des jeunes filles dans le monde d’Unreal), il est assez agaçant de constater à quel point Kengo Hanazawa (I Am a Hero) force le trait au point de parodier lui-même sa version du monde réel. On se demande dès lors si cet aspect du manga était inévitable d’autant qu’il ne sert principalement qu’à légitimer des blagues (pour la plupart salaces) et nous faire comprendre à quel point la vie de son personnage principal est misérable, ce dernier versant trop facilement dans le potache.
Du coup, tout y passe : le fait qu’il vive encore chez ses parents à 30 ans, qu’il occupe un job peu reluisant dans une imprimerie, qu’il se nourrisse mal, qu’il n’ait rien à faire de l’hygiène ou qu’il utilise ses maigres économies pour aller chaque mois au bordel. Si certains aspects de sa personnalité sont directement inspirés de l’auteur, le résultat amuse dans un premier temps avant de lasser, surtout à la fin du premier tome qui fait un peu du surplace en nous décrivant la relation entre Takuro et Tsukiko qui s’avère être beaucoup plus importante qu’elle ne le croit au sein de l’univers d’Unreal.
Ainsi, durant les deux premiers tiers de l’histoire, l’auteur nous brosse le portrait de ses personnages évoluant dans la vie réelle, morne et assez pathétique, via des planches chargées de détails et les sessions à l’intérieur d’Unreal. Tsukiko, de son côté, continue de mener sa vie en attendant patiemment son prince charmant, un rien trop entreprenant et désireux dans un premier temps de conclure mais qui cherchera par la suite à en savoir un peu plus sur ce monde tentaculaire et sa copine aux réactions de moins en moins conventionnelles.
D’ailleurs, en rajoutant diverses couches à l’intrigue de base, via Kanzaki, le créateur d’Unreal, ou le mélange entre réel et virtuel, Ressentiment parvient à retenir l’attention d’autant que le personnage de Nagao, commerciale dans l’entreprise de Takuro, apporte un peu de fraîcheur et d’humour à l’ensemble.
Une vraie réflexion concernant l’apport du virtuel dans notre quotidien ?
De prime abord, alors que Ressentiment semble essayer d’analyser le rôle du virtuel dans la vie de ces personnes solitaires n’ayant que peu d’intérêt pour le réel et préférant s’enfermer dans le jeu vidéo, le manga lorgne sans doute un peu trop rapidement vers son histoire d’amour impossible via, il est vrai, plusieurs éléments (les différents groupes s’opposant dans Unreal, le fait de mélanger un peu plus le virtuel et le réel via des implications directes) ajoutant du piment à l’intrigue. De fait, cette critique n’est au final qu’un tremplin pour propulser la véritable histoire de Ressentiment qui prend dans le Tome 2 des allures de film catastrophe avec une Tsukiko frustrée nous montrant l’étendue de ses capacités aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur d’Unreal.
Alors que le coup de crayon de Hanazawa est plutôt agréable et prompte à déformer les visages pour accentuer les sentiments de ses héros (la peur, la douleur ou l’extase), l’histoire aurait sans doute gagnée à être un peu plus courte d’autant que l’auteur délaisse quelque peu l’une des intrigues débutées dans le Tome 1 en la concluant en l’espace d’un chapitre dans le second.
Pour autant, le manga, malgré une fin assez rapide et maladroite (notamment via l’implication du gouvernement américain) opte pour des thématiques intéressantes tout en profitant de dernières planches plus intimistes synonyme d’un épilogue plus réaliste et émouvant. Pas nécessairement de quoi nous faire réfléchir profondément à notre rapport au virtuel mais suffisant pour apprécier ce manga dérangeant optant souvent pour le graveleux et la facilité mais loin d’être dénué d’intérêt pour autant.