Resident Evil Village : Aussi classique que généreux

Resident Evil est prisonnier de son succès. Le constat est sans détours et démontre à quel point il est difficile de se renouveler, surtout actuellement alors que les coûts de développement d’un jeu ne cessent de grimper en flèche. Alors que Village aurait pu marquer une cassure, du moins mythologique, avec les autres épisodes, c’est plutôt le contraire qui se produit, malgré ce qu’évoque le magnifique opening du jeu, sorte de conte macabre animé dans la grande tradition du stop motion et fortement inspiré par l’univers de Tim Burton. Ce nouveau volet est-il mauvais pour autant ? Du tout mais il permet une analyse intéressante de la franchise plus que jamais désireuse de brosser le fan dans le sens du poil tout en essayant d’évoluer timidement sur différents aspects.

A l’annonce de Village, les rumeurs vont bon train. Les zombies se feraient fait la malle et seraient remplacés par des loups-garous et des vampires. Stupeur chez certains fans, excitation chez d’autres, la nouvelle a au moins le mérite de surprendre tout le monde tant la saga fait du surplace depuis des années en piochant allégrement dans différents types de virus, modifiés ou non par la société Umbrella. Le postulat de départ de Village est donc aguicheur pour qui aimerait un peu de sang neuf. Prolongement de Resident Evil VII, ce nouvel opus en reprend la vue subjective et son héros, Ethan Winters. S’ouvrant sur une introduction évoquant celle de Resident Evil 3 Remake (ou, au choix, Uncharted 4) en nous plongeant dans le quotidien d’Ethan, de sa femme Mia et leur fille, Rose, les premières minutes nous permettent de déambuler dans la maison familiale. Ce sera l’occasion de découvrir quelques bribes du récent passé d’Ethan à travers photos, objets et autres documents pour sacraliser sa nouvelle vie depuis la tragédie de la famille Baker.

Une dispute éclate alors entre Ethan et Mia afin de nous signaler que le couple n’est peut être pas si heureux que ça. C’est ce moment que choisit le réalisateur Morimasa Sato pour accélérer les choses via l’arrivée tonitruante de Chris Redfield qui, sans aucune explication, kidnappe Rose et fait prisonnier Ethan. A partir de là, les événements s’enchaînent à un rythme effréné. Accident du camion transportant Ethan, petite promenade nocturne dans une forêt peu accueillante et arrivée dans le village ne disposant même pas d’un seul Airbnb. L’horreur à l’état pur !

Village sans people

Les premiers instants dans le village donnent le La de la partition à venir autant dans le ton du jeu que sa structure calquée sur celle de Resident Evil VII. La visite des premières bâtisses mais aussi et surtout la rencontre avec les premiers villageois témoigne d’une ambiance sectaire offrant au jeu une tonalité aussi glauque que bienvenue. Photos d’une mystérieuse prophète, offrandes, animaux sacrifiés, l’ambiance culmine lors d’une efficace séance de prière avant de tomber, malheureusement , dans quelque chose de beaucoup plus convenu.

C’est sans doute l’un des principaux problèmes de Village qui semble rapidement baisser les bras dans son ambition initiale de proposer autre chose en préférant partir sur des sentiers balisés jusqu’à s’inspirer continuellement de Resident Evil 4, de son aspect rural à son action omniprésente. Ainsi, l’aspect «folk horror» du début ne débouche sur rien, les villageois étant rapidement décimés et totalement mis de côté pour céder leur place à des ribambelles de créatures. Décevant tant il y avait matière à jouer sur ce tableau en offrant à Village ce retour à l’horreur, brillamment initiée lors des premiers actes de Resident Evil VII, à travers des emprunts constants au slasher, ou le premier The Evil Within, véritable déclinaison Survival de RE4, tous les deux orchestrés par Shinji Mikami.

Kill me if you can

Resident Evil Village officie plutôt dans l’horreur gothique, de par le lieu de son action, les créatures mentionnées quelques lignes plus haut mais aussi certains personnages à l’image de la très médiatisée Lady Dimitrescu. On se demande d’ailleurs si Capcom n’a pas été pris de cours par les réactions de fans tant la damoiselle, importante dans la communication du jeu, est loin d’être aussi centrale qu’on aurait pu le penser dans l’histoire. Cet épisode propose donc à l’image du VII une imagerie très marquée mais qui prend rapidement l’effet d’une skin de luxe. Les lycans remplacent au pied levé les zombies (dans leur nombre conséquent mais aussi certains patterns) et les autres monstres, qu’ils soient gargouilles, «morts-vivants» armés d’épées ou abominations bio-mécaniques, n’arrivent pas à générer autant de frissons qu’un Hunter ou qu’un Licker.

Sato tente bien de reproduire la formule Mikami à l’aide de séquences guidées par la possibilité de se barricader dans des maisons pour accentuer le côté anxiogène mais n’y parvient que rarement, la faute à un épisode plus ouvert nous permettant de prendre plus facilement la tangente pour recharger et se reposer avant de repartir à l’assaut. Pour palier à cet état de faits, Village multiplie les affrontements faisant de cet opus l’un des plus «action» qui soit sans pour autant verser dans une difficulté excessive, bien au contraire, du moins en Normal. Il est d’ailleurs amusant de constater qu’autant dans son orientation que son écriture, le titre fleure bon l’actioner des années 80. Certaines répliques de Chris renvoient aux Stallone de la grande époque, le nombre de pétoires disponibles ferait rougir d’envie le réal de Commando et le scénario alterne avec une précision de métronome entre gunfights (parfois bien trop longs) contre des hordes de créatures, rencontres avec des monstres Alpha (plus grands, plus forts et souvent de gros sacs à PV) et combats de boss.

Who is the boss ?

Ironiquement, alors que le jeu permet de visiter plusieurs zones disparates, réparties autour du hub central qu’est le village, la notion de semi-liberté n’est finalement qu’illusion. Nous sommes à nouveau sur des rails et il n’est jamais possible d’aller à un endroit avant un autre, pour des besoins scénaristiques, aussi maigres soient-ils. En soi, ce n’est pas véritablement un problème d’autant que chaque lieu (associé à un l’un des 4 lieutenants de Miranda, la grande Méchante de cet épisode) correspond à un environnement différent à commencer par le somptueux château de départ. On notera à ce sujet que tout superbe soit-il, autant dans ses extérieurs enneigés que ses intérieurs sublimés par de très beaux éclairages, on a davantage le sentiment de visiter un immense manoir, l’impression de gigantisme n’étant jamais aussi efficace que dans la forteresse de Resident Evil 4. Saupoudrée de classiques énigmes et d’action, la visite n’en reste pas moins agréable bien que Lady Dimitrescu ne s’avère ni plus ni moins qu’une sorte de Némésis nous poursuivant jusqu’à l’inévitable affrontement final, assez décevant soit dit en passant. La méthode est éprouvée sauf qu’ici, les trois filles de Dimitrescu ont la même fonction. Un peu usant au bout du compte et mettant en avant certaines mécaniques de jeu pour les éliminer peu raccord avec le lore vampirique dont le titre s’inspire.

A mesure que l’impression de déjà-vu se fait de plus en plus ressentir dans les décors traversés ou certains adversaires à l’image de ces géants armés d’une hache renvoyant ici aussi à Resident Evil 4, Village opère un virage inattendu en se délivrant de ses chaînes le temps d’un niveau bien plus sombre qu’à l’accoutumée. Cette parenthèse, aux inspirations évidentes allant de Silent Hill à Outlast en passant par P.T. ou The Ring, s’avère très rafraîchissante bien que les ficelles ne soient pas originales. Pourtant, cela fonctionne parfaitement et permet au titre de trouver un second souffle. On regrettera que le reste de l’aventure ne suive pas le même chemin. Au contraire, on revient à une progression plus commune ponctuée de combats dans des arènes fermées se soldant la plupart du temps par la présence d’un adversaire plus puissant. Même les boss n’y échappent pas. Non pas qu’ils soient mauvais, certains se permettant même d’être plus originaux que d’autres (dans le bon ou mauvais sens du terme, c’est selon), mais la surprise n’est que rarement au rendez-vous.

Chasse et pêche

Quoi qu’il en soit, le plaisir de la découverte est bel et bien là et pas une seule fois, je n’ai eu envie de lâcher le jeu durant les 12 heures qu’il m’a fallu pour le terminer. Néanmoins, il est dommage que cet opus ait quelque peu sacrifié son ambiance sur l’autel d’une gamification parfois hors propos. On citera les nombreux trésors à dénicher dans tout le village pour obtenir des objets à revendre ou bien encore les animaux (poulets, cochons, poissons…) à tuer pour ramener leur chair au marchand afin d’avoir des buffs permanents. Cette sorte d’héritage de Monster Hunter s’avère aussi pratique (dès le mode Hard), pour gagner en résistance, qu’étrange tant elle démontre à quel point les développeurs ont d’abord pensé l’évolution de leur série en terme de gameplay plutôt que de scénario. Le marchand par exemple, nous fait comprendre qu’il n’est pas ce qu’il semble être, mais jamais nous n’avons de réponse quant à sa véritable implication dans l’histoire, le personnage étant ici aussi principalement vu comme un élément de gameplay plutôt qu’un véritable protagoniste à l’image de celui de RE4, simple boutique à forme humaine. Certes, Resident Evil n’a jamais vraiment brillé par son histoire mais la frustration reste bel et bien présente, surtout avec ce segment formant un diptyque autour d’Ethan mais se sentant obligé de raccrocher les wagons avec la série principale dans les toutes dernières minutes de façon pour le moins maladroite.

Toujours est-il que si le Duc (le petit nom dudit marchand) n’a finalement pas vocation à servir le scénario plus que ça, il conserve son intérêt puisque c’est lui qui vous fournira armes (et leurs upgrades), munitions (et schémas pour les confectionner vous-même) en plus de vous faire la popote pour créer les buffs dont je parlais tantôt. Comme je le précisais, l’action occupe plus que jamais une place de choix dans Village, au sens propre comme au sens figuré. En effet, outre les nombreux guns que vous pourrez acheter, vous aurez aussi à gérer votre inventaire (énième héritage de RE4) uniquement dédié à vos flingues et vos flacons de santé qu’il sera également possible de crafter en récupérant ici et là divers matériaux. En somme, tous les autres objets à ramasser (cristaux, trésors, matériaux) seront rangés dans d’autres slots ne requérant aucune gestion de votre part. Difficile d’être plus clair sur ce qui importe le plus dans Village.

En route VR le End Game

Le End Game du titre ne dévie pas non plus de cette voie en nous proposant en bonus le retour du mode Mercenaires datant de Resident Evil 3. Une excellente initiative d’autant que la vue FPS est plus adaptée à ce type de défi. Le concept ne change guère et vous demandera à nouveau d’éliminer le plus d’ennemis possibles en un temps limité en récupérant munitions et upgrades (de force, défense, dégâts) répartis sur la surface de jeu. On regrettera cependant que Village n’offre aucune expérience VR, à l’inverse de Resident Evil VII, quel que soit le support.

Cependant, le plus beau cadeau provient du making of de l’introduction animée, l’une des plus belles ouvertures de l’histoire de la saga, et des innombrables galeries à débloquer. Sur ce point, on ne peut que féliciter Capcom d’autant que chaque artwork s’accompagne d’une description sur la conception de tel décor, telle créature. Cerise sur la gâteau, vous aurez droit dès le départ, à un bonus similaire concernant Resident Evil VII avec pas moins d’une centaine d’artworks à disposition ainsi qu’un descriptif complet de l’aventure. Une bien belle initiative dont devraient s’inspirer la plupart des studios.

Malgré le riche potentiel lié à son univers, Resident Village s’enferme dans une construction très classique sans jamais vraiment chercher à en sortir. Visuellement superbe, très plaisant à parcourir, il lui manque néanmoins cette once de folie, d’originalité qui seyait à Resident Evil 4, l’une de ses références majeures, pour espérer autant marquer que son modèle ou même Resident Evil VII qui digérait bien mieux ses influences cinématographiques et vidéoludiques et proposait qui plus est l’expérience entière en VR, ici absente. Aussi subtil qu’un film d’action des eighties, ce nouvel épisode n’en reste pas moins difficile à lâcher une fois qu’on l’a débuté. Aucune raison de le bouder même si il démontre à son tour que la série aurait sans doute besoin de s’affranchir de ses aînés pour aller véritablement de l’avant.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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