Resident Evil 4 : Vamos a la plaga

Rien n’arrête Capcom dans sa frénésie de remakes, encore moins lorsqu’il s’agit de sa poule aux œufs d’or, Resident Evil. Continuant de revisiter l’ensemble de sa saga, la société japonaise inscrit logiquement le 4ème épisode dans le sillon des 2ème et 3ème opus. Resident Evil 4 est un monument, de ceux qui ont fait insufflé un nouvel élan à l’action/horreur mais qu’en est-il aujourd’hui face à cette concurrence acharnée, qu’elle émane du même créateur (The Evil Within) ou bien de ses disciples (Dead Space, The Callisto Protocol) ?

Episode charnière, Resident Evil 4 est souvent pointé du doigt par nombre de membres de la communauté RE pour sa dimension action ou bien encore son ambiance à mille lieux de celles des précédents volets. Si on oublie aussi parfois que Mikami n’a finalement fait qu’accentuer certains traits de la série initiale, il convient toutefois de rappeler certaines choses le concernant. Ainsi, Resident Evil 4 est sans aucun doute l’épisode de la série possédant l’UX design le plus recherché. La collecte des trésors, l’achat d’armes, la modification de ces dernières, les quêtes du marchand, tout participe au plaisir de l’aventure, la plus longue de la série. Au delà de son envie de casser certains codes établis, Shinji Mikami mettra tout en œuvre afin que le joueur se sente de plus telle une arme vivante et ce malgré les nuées de Plagas, créatures bien plus résistantes et vicieuses que le simple mort-vivant puisqu’ayant la capacité d’utiliser des objets, de nous traquer n’importe où en ouvrant des portes, en utilisant des échelles, bref…de penser. L’horreur !

Le résultat, qui nécessitera le reboot du projet à un stade avancé, tracera les grandes lignes de la saga pour les années à venir et ce jusqu’à ce que Capcom en redéfinisse à nouveau les contours à travers l’horreur de Resident Evil VII. De son côté, Resident Evil 4, en plus de «gamifier» son propos, ira chercher ses influences du côté du cinéma hollywoodien où se côtoient pêle-mêle, Le Projet Blair Witch, Jaws, The Thing Massacre à la Tronçonneuse. Une myriade de références lui donnant ce cachet unique ici mis en exergue par le RE Engine.

Votre mission, monsieur Kennedy…

Comme souvent prétexte à toutes les excentricités, le scénario de Resident Evil 4 ne déroge pas à la règle. La fille du président des Etats-Unis, Ashley Graham, vient d’être kidnappée et serait détenue dans un village en Espagne. Un échange d’étudiants qui a mal tourné ? Un kidnapping fomenté par le programme Erasmus ? On ne le saura jamais vraiment mais toujours est-il que sur les 331 millions d’Américains, c’est Leon S. Kennedy qui est choisi pour aller la sauver. Le hasard fait bien les choses d’autant que le bellâtre a pris de la bouteille depuis les tragiques événements de Raccoon City, six ans auparavant.

N’y allons pas par quatre chemins, le reste de l’histoire n’a ni queue, ni tête et nous transporte d’un village, où résident Leatherface, un troll échappé du Seigneur des Anneaux et un poisson géant, à un château, habité par un nabot aristocrate flanqué de deux gardes du corps, proches parents du Xenomorphe, en passant par une île cachant un gigantesque complexe. Ajoutez de nombreux traits d’humour, saupoudrez d’une sorte de nonchalance immanente de monsieur Kennedy et vous obtenez le scénario le plus fantasque, et fantastique, de la saga.

Bien que toute cette excentricité aille parfois jusqu’à parodier la série, l’ensemble fonctionne. Ainsi, on acceptera implicitement cette narration qui part dans tous les sens afin de profiter de la générosité d’un jeu cherchant autant à faire évoluer le lore de la saga qu’à dérouler une succession de morceaux de bravoure. Et qu’importe que les bad-guys (Mendez, Salazar, Krauser et Sadler) aient une écriture aussi mince qu’un top-modèle anorexique ! Au diable qu’Ada, ici objet de désir jusqu’au boutisme, porte des talons aiguilles lors d’une mission de terrain ! Chaque élément scénaristique concourt à créer l’excitation, à nous immerger pleinement dans cette aventure mue par son besoin de s’affranchir de ses prédécesseurs tout en cherchant à ne jamais dépasser un point de rupture grâce à des personnages familiers ou ces histoires d’expérimentations prenant ici une tournure sectaire ne reflétant au final que la nature profonde d’Umbrella sous couvert d’enrobage marketing et de beaux discours.

(RE)découverte d’un univers

A l’image de ce qui avait été fait dans le remake du premier épisode ou plus récemment avec Resident Evil 2, celui de RE4 modifie, transforme et embellit le matériau de base. Bien que le RE Engine commence à montrer des signes de faiblesse face à la concurrence, le moteur maison de Capcom assure encore en 2023 et permet au bébé de Shinji Mikami de s’offrir une vraie cure de jouvence. Plus sombre, plus organique, plus ouvert également, Resident Evil 4 impressionne à travers le talent d’artistes ayant trouvé le juste milieu entre récupération, adaptation et ajouts afin que la découverte passe plus que jamais par la forme mais aussi par le fond. De fait, sans totalement chambouler nos acquis, ce remake prend parfois des chemins de traverse pour approfondir la trame originale ou tout simplement offrir aux joueurs davantage d’heures de jeu via une exploration plus poussée. L’un des exemples les plus significatifs est sans doute la zone du lac, sorte de mini hub explorable à l’envie et disposant de davantage de lieux accostables que par le passé.

Tout pousse à crapahuter, à explorer et à écumer la map, ne serait-ce que pour trouver des pierres précieuses afin de les combiner avec des objets de valeur pour les revendre au prix fort chez le marchand possédant de nombreux items inédits permettant de booster les capacités de nos flingues. Bien sûr, on y retrouve le stand de tir où, en plus d’améliorer notre visée, il sera possible d’obtenir de petites figurines synonymes de différents bonus (améliorations d’armes moins coûteuses, craft plus généreux…). Le système est rodé et fait encore recette aujourd’hui, la refonte graphique incitant à visiter tandis que l’excellent feeling des armes nous pousse à aller au devant du danger ou à opter pour l’infiltration en poignardant nos ennemis dans le dos afin d’économiser quelques chargeurs.

Tout en accentuant l’aspect ludique du matériau original, Capcom s’est également efforcé de rendre ce remake plus moderne dans sa construction. Ainsi, bien que l’histoire soit toujours aussi nonsensique, la place de Luis, Krauser et Ada a été revue, plusieurs séquences ont été entièrement repensées (le passage avec Ashley), voire enlevés (le couloir des lasers, la poursuite avec la statue de Ramon Salazar, l’affrontement contre l’U3…) et on dénombre bien moins de QTE. A contrario, on y retrouve le German Suplex, bien pratique pour éliminer avec grâce et légèreté les ennemis groggy.

Malheureusement, Ashley s’avère toujours aussi pataude et on aura souvent envie de la laisser en plan tant elle possède la faculté de se faire kidnapper à la moindre occasion. La dure vie d’un personnage à protéger contrôlé par l’IA. Les développeurs se sont d’ailleurs amusés avec cet aspect du personnage puisqu’en plus du lance-missiles infini et quantité d’items à débloquer en mixant New Game + et PC à accumuler (indispensables pour obtenir concept arts, models 3D…), il sera possible d’affubler Ashley d’une armure afin de l’empêcher de se faire enlever. Un clin d’oeil aussi savoureux qu’efficace à l’image des oreilles de chat ou du masque de coq nous conférant des atouts bien pratiques pour atteindre le Rang S dans des parties dédiées au speedrun.

Le diable se cache dans les détails

Résonance d’un parti pris plus ludique, Resident Evil 4 intègre également quantité d’astuces. Il faudra ainsi prendre le temps d’analyser son environnement pour se simplifier la vie tout en mettant à profit l’excellent level design. Par exemple, le fait de pouvoir faire monter directement le premier canon dans le château (en tirant à travers une grille) vous permettra d’éliminer bien plus rapidement les catapultes. Dans la même veine, et avant qu’un récent patch ne corrige cette possibilité, nous pouvions tirer au sniper dans le clocher du village et ainsi écourter la scène d’action au tout début du jeu. Certains documents nous renseigneront également sur les faiblesses de certains ennemis à commencer par les Plagas transformés particulièrement sensibles à une lumière vive et donc à nos grenades Flash. Garder deux œufs dorés vous permettra de zapper l’un des combats de boss les plus ardus. Switcher rapidement entre le pompe et un autre gun contre les ennemis armés de boucliers s’avérera aussi particulièrement efficace, encore plus dans ce remake proposant une sélection rapide d’armes via la croix de direction. Le titre regorgeant d’ingéniosité, on appréciera d’enchaîner les runs afin de découvrir l’intégralité de ce qu’il a à nous offrir.

Dans la force de l’âge

Après le remake du deuxième épisode, Capcom s’est fendu d’une adaptation de grande qualité avec ce quatrième épisode profitant par ailleurs de l’iconique mode Mercenaires fort de trois maps, quatre personnages jouables (Leon, Luis, Krauser et Hunk) et d’une difficulté beaucoup plus abordable que celle du mode éponyme de Village. On pourra toutefois lui reprocher de ne pas avoir intégré le segment Separate Ways (ajouté à l’époque pour la version PlayStation 2 du jeu) bien qu’on ne doute pas qu’il fasse prochainement son apparition sous la forme d’un DLC, payant ou non.

Moins viscéral que le remake de Dead Space ou The Callisto Protocol, traînant divers problèmes (le maniement du bateau, l’impossibilité de changer d’épaule quand on vise, le fait de ne pas pouvoir mettre les munitions dans le coffre…), le remake de Resident Evil 4 compense ses faiblesses par une progression plus efficace que par le passé, un incroyable sound design ou une direction artistique rendant un hommage encore plus vibrant à ses modèles cinématographiques. Une (re)découverte passionnante nous rappelant à quel point cet épisode a élevé la série tout en marquant au fer rouge l’industrie.

Bien qu’accusant un retard technique face à ses concurrents directs, Resident Evil 4 produit toujours la même fascination, 18 ans après sa sortie initiale. Evolution logique d’une saga copiée mais rarement égalée, le quatrième épisode s’offre avec ce remake une nouvelle vitalité, aussi bien dans ses passages inédits que la réinterprétation de certaines de ses séquences. Passionnant à redécouvrir, le chef-d’oeuvre de Shinji Mikami fait parfois montre de mécaniques datées mais c’est pour mieux se reprendre dans une débauche d’action et de tension, héritière du cinéma de John McTiernam, Ridley Scott et Tobe Hooper.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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