L’histoire de Steven Spielberg et des jeux vidéo ne date pas d’hier. Ainsi, si on lui doit par certains côtés la série Medal of Honor (développée par la filiale de sa société Dreamworks), rappelons que l’homme nous a également offert le très sympathique Boom Blox sur Wii en 2008. Il était donc légitime qu’il soit en tête de liste pour l’adaptation du livre d’Ernest Cline, Player One, véritable ode à la pop culture, au cinéma et au jeu vidéo des années 80.
Bien que Cline officie en tant que co-scénariste sur le film, Ready Player One se devait d’être plus actuel, tout en gardant la structure du livre, afin de toucher un public plus vaste qui n’aurait pas été biberonné aux eighties. Si le roman était un pamphlet à la gloire des années 80, le long-métrage, sans renier son héritage, opte pour une orientation quelque peu différente tout en restant on ne peut plus référentiel.
De Player One à Ready Player One
Visuel et jouissif, Player One n’en restait pas moins critiquable lorsqu’il devait décrire et faire évoluer les relations entre ses personnages. Cependant, Ernest Cline avait réussi à insuffler une dynamique à son récit se déroulant en 2045, véritable chasse au trésor à l’intérieur de l’OASIS (gigantesque monde virtuel créé par le défunt James Halliday) pensée comme une immense quête digne des plus grands RPG.
Tout en conservant les bases de l’histoire, Spielberg se réapproprie logiquement l’univers de Cline pour le meilleur et parfois pour le pire. Si quantité de choses diffèrent entre le film et le roman, la trame principale reste néanmoins identique. Ainsi, Halliday lègue en guise de testament 250 milliards (transformés, sûrement pour une histoire d’inflation, en 500 milliards dans le film) à qui récupérera les trois clefs disséminées à l’intérieur de sa création. En tant qu’inconditionnel d’Halliday, Wade Watts (aka Parzival) aidé de ses compagnons, ne tarde pas à se plonger corps et âme dans la partie par attrait pour l’aventure. Néanmoins, il devra faire face aux Sixers, multinationale ayant un quasi monopole sur la société actuelle en proie à divers problèmes économiques et écologiques, et bien décidé à cultiver les richesses du monde virtuel.
Là où l’auteur prenait le temps de dépeindre l’OASIS comme une sorte d’échappatoire à un monde gangrené par la pauvreté et la surpopulation et où il était possible de s’amuser, mais aussi de travailler et d’étudier, le réalisateur américain en fait un simple terrain de jeu s’étendant sur des milliers de mondes. Si la représentation visuelle très marquée (autant dans les tonalités que ses possibilités) entre réel et virtuel sert le propos, on regrettera que Ready Player One n’ait pas été découpé en deux films de deux heures. Ce format aurait en effet été à même de rendre davantage justice aux 600 pages du roman original en s’attardant sur l’aspect social de l’OASIS tout en atténuant l’aspect manichéen de l’ensemble. C’est ici tout l’inverse, Spielberg étant plus enclin à dresser un portrait peu reluisant des multinationales, à travers des personnages trop clichés (à l’image de Sorrento) pour être crédibles, tout en se sentant obligé de nous rappeler à plusieurs reprises qu’il y a une vie au delà du virtuel…et donc du jeu vidéo.
Si le message semble donc par moment grossier et assez naïf, le film se montre beaucoup plus à l’aise lorsqu’il s’agit de mélanger références actuelles et plus anciennes pour le plaisir de tous. Bien que l’hommage aux années 80 soit beaucoup plus dilué, il n’en reste pas moins que Ready Player One se veut une sorte de jeu imbriqué dans un film tant plusieurs visionnages seront nécessaires afin de voir tous les easter eggs. Qu’ils soient vidéoludiques (Halo, Overwatch, Street Fighter…), cinématographiques (King Kong, Last Action Hero, Chucky) ou issus d’animes (Gundam, Le Géant de Fer, Cowboy Bebop), chacun contribue à une excitation certaine chez le spectateur. On déplorera tout de même que la musique des années 80 (centrale pour Cline) ne soit ici synonyme que de quelques morceaux épars (Van Halen, Tears for Fears…), heureusement épaulés par les excellentes compositions d’Alan Silvestri visiblement très heureux de se replonger dans la période Amblin.
Difficile donc d’en vouloir à Spielberg d’avoir pris autant de libertés avec l’oeuvre d’origine d’autant qu’en remplaçant certaines scènes (l’épreuve de Joust, celle de Wargames…), il parvient à les rendre plus adaptées au grand écran. On pensera ici une étonnante course-poursuite (bien qu’un brin confuse dans son dénouement) ou le superbe hommage à Shining en le rendant tour à tour impressionnant, effrayant et très amusant.
Malheureusement, Ready Player One fait aussi montre de plusieurs défauts à commencer par sa dynamique très différente de celle du livre qui switchait à intervalle régulier entre réel et virtuel. L’accent est ici mis sur l’OASIS, mais il est frustrant de ne plus retrouver cette dimension vidéoludique passant par de véritables challenges demandant réflexion et connaissance des années 80. Si Spielberg saupoudre son long-métrage de clins d’oeil plutôt habiles, ces derniers ne masquent en rien le manque de temps qu’a eu le réalisateur afin de développer l’univers de Cline. Tout va très vite dans Ready Player One, le spectacle étant davantage mû par ses idées visuelles que l’empathie dégagée par ses personnages, centraux ou non. Pour autant, bien que la quasi totalité du casting s’avère fantômatique dans le monde réel, la petite troupe complétée par Aech, Daito et Shoto se montre plus convaincante une fois dans l’OASIS et ce malgré le couple Wade/Art3mis beaucoup plus central dans le film et reléguant de ce fait au second plan leurs compagnons.
Retour vers le passé pour Spielberg ?
On savait depuis les excellentes Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne que Spielberg avait compris l’intérêt de l’image de synthèse pour magnifier son action, ambitieuse mais toujours lisible, Ready Player One lui permet de passer à une étape supérieure, aidé en cela par l’univers mis à disposition. De l’introduction parfaitement chorégraphiée présentant en quelques secondes les possibilités de l’OASIS (qui ne seront malheureusement pas pleinement utilisées par la suite) à l’élégante scène du casino en passant par l’incroyable morceau de bravoure final, le réalisateur de 71 ans maîtrise son sujet.
Prenant le temps de dresser un bilan quelque peu désabusé de notre société à travers les yeux de James Halliday, Spielberg n’en oublie également pas de rendre hommage à tout un pan du cinéma, son cinéma, celui-là même qui l’a rendu célèbre à travers des œuvres cultes comme Jaws, Retour vers le Futur, Jurassic Park ou bien encore Indiana Jones. Dommage toutefois que ce parti-pris se fasse au détriment du jeu vidéo, parfois réduit au simple rang de (multiples) références disséminées ici et là alors qu’elles constituaient la pierre angulaire du livre d’Ernest Cline.
Malgré tout, Ready Player One reste un film extrêmement généreux et transgénérationnel, et ce malgré le fait qu’il soit avant toute chose le regard d’un réalisateur sur son œuvre et le monde qui l’entoure.
Parfois cliché et peu subtil (on se serait bien passé de cette morale un brin condescendante, chose qu’on retrouve de plus en plus dans les films de Spielberg), le long-métrage se plaît à mélanger les deux mondes pour mieux nous questionner sur notre rapport au virtuel, tout en nous abreuvant de références à tout un pan d’une culture geek ayant depuis longtemps fusionné avec notre quotidien.
Parasitée par de nombreux problèmes (personnages supplémentaires inutiles, intrigue cousue de fil blanc, manichéisme), Ready Player One n’en conserve pas moins une force évocatrice, de celles nous poussant à apprécier et à mieux comprendre le cinéma ou, dans une certaine mesure, le jeu vidéo, ainsi que leurs créateurs. Bien qu’on puisse être très déçu de l’oeuvre en tant qu’adaptation, Spielberg réussit néanmoins à travers sa vision et son talent à faire passer un message différent du livre, pas moins intéressant, mais simplement plus personnel. A vous de voir si vous avez envie de suivre l’homme dans ses questionnements, sa vision du monde actuel et le cinéma qui en découle.