Prince of Persia : The Lost Crown – Entre passé et présent

Réimaginer un classique du jeu vidéo n’est jamais chose aisée. Le moderniser sans trahir la proposition initiale, le destiner aux fans comme aux profanes, affiner la forme comme le fond. Ubisoft s’était déjà essayé à l’exercice en repensant de multiples fois Prince of Persia, le chef-d’oeuvre de Jordan Mechner, notamment en 2008 à travers un jeu d’action/aventures esthétique, immersif mais manquant malheureusement de substance. 16 ans plus tard, la saga sort de sa retraite à travers un Metroidvania aussi superbe que challengeant. Un pari ambitieux bien que s’inscrivant de manière naturelle dans le genre qui l’a vu naître.

Alors qu’Ubisoft est souvent assimilée à la seule et unique franchise Assassin’s Creed, l’éditeur français n’en possède pas moins un trésor de guerre comprenant des sagas comme Splinter Cell, Rainbow Six, Might & Magic, Les Lapins Crétins. Prince of Persia en fait indubitablement partie même si son histoire commence sans Ubi, en 1989, dans le garage de Jordan Mechner. Ubisoft en récupérera les droits en 2001 et sortira en 2003 l’épisode des Sables du Temps, soit le quatrième opus de la saga et premier épisode de la trilogie des Sables qui accueillera en 2004 et 2005 les deux épisodes suivants. Oui, ça ne chôme pas. En 2008, on notera la volonté de relancer la série (qui s’offrira entre temps un spin off stratégique sur Nintendo DS du nom de Battles of Prince of Persia) avec un épisode plus ouvert, au simple nom de Prince of Persia, profitant d’une très belle DA mais sans véritable fin et ce malgré l’ajout d’un DLC. La même année sort sur Nintendo DS The Fallen King qui devait ouvrir la voie à une nouvelle série de jeux. Il n’en sera rien et hormis l’excellent Sables Oubliés en 2010 (se situant entre Les Sables du Temps et L’Ame du Guerrier) puis un jeu mobile huit ans plus tard, la licence semblait vouer à mourir de sa belle mort. C’était sans compter le remake annoncé (pressenti annulé puis finalement rebooté) des Sables du Temps mais aussi et surtout The Lost Crown qui nous intéresse ici. Une résurrection aussi étonnante que salutaire pour une saga semblant aussi intemporelle que sa thématique.

The Lost Crown part donc d’un principe simple : renouer avec les racines de la série mais aussi du genre plate-former via un titre en vue horizontal aussi exigeant qu’artistiquement abouti. Autant le dire tout de suite, Ubisoft Montpellier a remporté son pari haut la main en soignant aussi bien la forme que le gameplay tout en réussissant à adresser son jeu à un vaste public, qu’il soit adepte des expériences sans prise de tête ou à l’inverse demandeur d’un véritable challenge. Ce dernier point est en soi une prouesse car le titre se présente comme un Metroidvania entièrement construit autour de somptueux mais difficiles combats de boss ainsi que d’innombrables passages réclamant beaucoup de skill de notre part. Ainsi, si vous optez pour le mode Normal (ou les deux niveaux de difficulté suivants), la notion de Die & Retry prendra tout son sens. Si les premiers pas seront ardus et synonymes d’énervements (surtout si vous n’êtes pas adeptes du genre à l’image de votre serviteur), le tout passera par une phase d’apprentissage et de maitrise du gameplay jusqu’à ce que la frustration s’estompe et laisse sa place à la véritable satisfaction d’avoir vaincu un adversaire, d’avoir passé une phase de plates-formes. La progression et la courbe d’évolution étant parfaitement dosées, on ressentira alors un vrai plaisir à découvrir le titre et à revenir sur nos pas afin de dénicher les secrets à disposition, qu’ils étoffent le lore, améliorent notre personnage ou qu’ils soient synonymes d’amulettes sur lesquelles je reviendrais plus tard.

Comment les développeurs ont-ils fait pour rendre leur jeu accessible aux moins gameurs d’entre nous ? Outre le fait de pouvoir entièrement personnaliser votre expérience (santé des ennemis, puissance de ces derniers…), vous aurez aussi et surtout la possibilité d’utiliser des portails pour éviter les passages de plates-formes les plus délicats. Bien entendu, ceci dénature l’expérience initiale et annule le sentiment de progression dont je parlais plus haut mais il faut toutefois saluer l’accessibilité du jeu qui ne laisse personne sur le carreau. En somme tout l’inverse de la philosophie From Software mais ceci est un autre débat. Prince of Persia : The Lost Crown est un jeu bien pensé mais ce n’est pas la moindre de ses qualités même si il possède quelques défauts à commencer par sa narration.

Ainsi, bien qu’Ubisoft ait repris l’univers oriental du jeu original, on ne peut pas vraiment dire que le scénario (faisant état d’un prince à sauver par un groupe de guerriers, les Immortels, dont notre héros, Sargon, fait partie) soit des plus passionnants, ceci valant aussi bien pour l’histoire qui grille trop rapidement ses cartouches ou même les relations entre personnages, peu nombreux, et ayant finalement des interactions très limitées. Notons toutefois plusieurs collectibles étoffant le lore à travers des témoignages de personnes prisonnières du Mont Qaf (l’endroit où se déroule l’entièreté de l’aventure) ou des récits plus anciens, passionnants à découvrir puisque s’inspirant d’une culture à la cosmogonie très riche. Ainsi, bien que manquant d’épaisseur, le scénario tracera néanmoins une ligne rouge qu’il vous faudra suivre pour avancer et récupérer des pouvoirs indispensables pour la suite de l’aventure ou le 100% de complétion. Mais avant d’y arriver, vous aurez compris que les épreuves jalonneront votre périple.

Sur ce point, le flow du jeu est millimétré, en alternant avec une précision de métronome affrontements comme des ordres de créatures issues d’un bestiaire très varié, passages de plates-formes réclamant une excellente maitrise du gameplay et des réflexes aiguisés et les combats de boss que je citais au-dessus. Il est d’ailleurs bon de s’attarder sur ceux-ci tant ils s’avèrent parfaitement pensés en demandant aux joueurs d’user au mieux de toutes leurs capacités tout en analysant les patterns des ennemis pour espérer en venir à bout. Les boss représentent une véritable épreuve tout en étant la plupart du temps synonyme d’obtention d’une nouvelle capacité. Y aller la fleur au fusil ne servira pas à grand-chose et à l’instar de ce que propose n’importe quel From Software, une bonne préparation sera fortement recommandée.

Libre à vous dans ce cas de revenir dans les zones inexplorées pour espérer glaner quelques pétales afin d’augmenter votre jauge de vie, des potions supplémentaires synonymes de régénération, diverses amulettes aux effets variés ou pour rendre une visite à Kaheva, forgeronne qui se fera un plaisir d’améliorer votre équipement moyennant cristaux, pièces ou matériaux spécifiques que vous pourrez obtenir en réussissant des phases de plates-formes plus corsées ou en résolvant quelques énigmes intelligemment intégrées. Bref, les combats seront des moments épiques sacralisés à travers des attaques à la mise en scène inspirée, fortement influencée par les Shonen Nekketsu, et un rythme soutenu.

La mise en scène que je mentionnais n’est d’ailleurs qu’une des facettes de la magnifique DA du jeu, faisant par ailleurs oublier son niveau technique n’atteignant jamais des sommets. Rien de vraiment préjudiciable cependant puisque cet aspect est contrebalancé par des environnements variés, plusieurs plans à l’enivrante beauté ou le copieux bestiaire lui aussi imprégné de toutes ces légendes venues d’Orient. Ce mélange associé à un univers foisonnant finiront de nous happer pour peu qu’on n’ait pas lâché l’affaire après être morts des dizaines de fois à la première difficulté. Comme je le disais, outre les options d’accessibilité, vous devrez ne jamais hésiter à cleaner chaque zone composant l’imposante map du jeu (un prérequis du genre) pour dénicher d’innombrables amulettes. Celles-ci vous seront d’une aide inestimable d’autant que vous pourrez les cumuler pour peu que vous ayez obtenu les améliorations requises. En plus de vous faciliter la vie, le choix desdites amulettes sera fortement impacté par votre style de jeu. Vous êtes plus à l’aise pour enchaîner les combos dans les airs ? Optez pour Quatre Étoiles Royales. Vous en avez assez de perdre face à un passage de plates-formes  et de reprendre à un check point ? Equipez-vous de Robustesse pour profiter de trois fois plus d’essais. Vous vous sentez fragile au corps à corps ou n’arrivez pas à maîtriser le contre ? Jetez un œil à l’amulette du Mauvais Oeil ou celle du Danseur aux sabres.

Si une bonne préparation au combat sera la clé de la réussite, il vous faudra aussi et surtout maîtriser le gameplay pour atteindre les cimes du Mont Qaf. Sur ce point, pas de secret, seul l’entraînement prévaudra pour réussir à enchaîner double saut ou user au bon moment de certains pouvoirs temporels aussi fun qu’utiles. Je pense ici au retour dans le temps synonyme d’une sorte d’écho de vous-même que vous pourrez placer n’importe où pour ensuite, d’une simple pression, rejoindre. Le vortex, lui, vous proposera d’emprisonner un ennemi pour ensuite le catapulter sur des zones destructibles ou un autre adversaire afin qu’ils s’affrontent. Tous ces éléments seront progressivement mis à contribution pour enrichir combats et passages de plates-formes. Toutefois, on pourra toutefois regretter par moments certains pics de difficulté d’autant qu’il vous faudra aussi gérer la puissance de vos sauts (grâce aux boutons analogiques) ou l’orientation de ces derniers tout en négociant les pièges mortels. Un peu frustrant comme certains check points un peu éloignés bien que ceux-ci soient nombreux tout comme les portails de téléportation et autres arbres Wak Wak, indispensables pour sauvegarder en plus de la récupération complète de votre santé.

On pourra également regretter que le timing de certains combos (pensés autour de vos aptitudes et armes -doubles cimeterres, arc et chakram fonctionnant comme une sorte de boomerang-) soit trop précis et qu’on laisse rapidement tomber ces derniers en privilégiant les contres et les attaques les plus simples, technique fonctionnant très bien sur la plupart des ennemis lambda. Pour autant, le titre ne perd jamais de vue cet équilibre entre action, réflexion et plates-formes tout au long de sa progression et n‘aura de cesse de nous immerger dans son univers et ce malgré un doublage français des plus bancals. Un point de détail qui ne devrait certainement pas vous empêcher de profiter de cet excellent Metroidvania aussi généreux qu’exigeant.

Très bel hommage à ses racines, Prince of Persia : The Lost Crown prend le meilleur de son héritage en le réinjectant dans un jeu plus actuel, à la direction artistique impeccable, au level design bien pensé et au challenge relevé. Jamais (véritablement) frustrant, le titre profite d’une générosité et d’une inventivité lui permettant de se renouveler tout au long de l’aventure. Une excellence surprise qui permet au Prince de Perse de briller à nouveau sous un soleil radieux.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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