One Piece : Une adaptation des plus animées ?

106 volumes, 1074 épisodes, 15 films, One Piece est une œuvre fleuve, l’un des fleurons du genre shonen qu’Eiichirō Oda porte à bout de bras depuis 1997 afin de satisfaire une gigantesque fan base. Adapter un tel monument en live semblait une opération risquée autant d’un point de vue artistique que financier. Après la déconvenue Cowboy Bebop, Netflix s’est donc attelée à la tâche en prônant un respect absolu pour l’œuvre grâce, notamment, à la participation du mangaka. Le résultat, accumulant plusieurs défauts, n’en reste pas moins efficace, frais et au final complémentaire de l’anime en se présentant comme une vraie porte d’entrée sur ce monde foisonnant.

Alors que la série animée arrive dans sa dernière et longue ligne droite en multipliant moments épiques et révélations en cascade, l’adaptation live de Netflix reprend tout à zéro. Un vrai cours de rattrapage en accéléré pour celles et ceux ne connaissant rien à l’aventure de Luffy et ses Mugiwara. Vu le gigantisme du lore synonyme de centaines de personnages et créatures toutes plus folles/farfelues/charismatiques les unes que les autres, l’adaptation de One Piece semblait a priori très casse gueule, ne serait-ce que vis-à-vis des fans souvent très méfiants à l’égard des versions live de leurs franchises cultes. On ne peut pas nécessairement leur en tenir rigueur, surtout si on se fie aux adaptations de Dragon Ball ou bien encore Saint Seiya. Toutefois, de nombreux contre-exemples (Edge of Tomorrow, Gantz, Kenshin) sont là pour nous rappeler que tout est possible et, oh surprise, on serait tenté de ranger One Piece dans la catégorie des réussites malgré ses divers problèmes.

Histoire de pirates

Comme précisé quelques lignes plus haut, adapter One Piece relève de la véritable gageure tant l’histoire regorge d’arcs et de personnages ayant droit, pour la plupart, à de nombreux flash-back afin de leur donner de la profondeur. Si l’anime en abuse parfois, la série de Netflix prend le contre-pied de ceci afin de mieux rythmer ses 8 épisodes adaptant les 45 premiers de la série animée. Bien entendu, vu l’ampleur de la tâche, les scénaristes ont dû faire des concessions, pour le meilleur et pas nécessairement pour le pire bien qu’il y ait plusieurs choses à redire. En premier lieu, l’histoire reste la même et profite d’une trame claire et limpide : Luffy, jeune garçon avide d’aventures, rêve de devenir le Roi des Pirates. Après avoir mangé un Fruit du démon qui a transformé ses membres en caoutchouc, il prend la mer et au grès de diverses péripéties, va se constituer un équipage. Les thèmes du shonen (le dépassement de soi, l’amitié, l’esprit de groupe) sont bel et bien présents, le budget alloué à chaque épisode (18 millions de dollars) permet de donner vie à cet univers de façon étonnante et les easter eggs pullulent en réussissant pourtant à ne jamais être envahissants tout en annonçant le futur de la série dont la Saison 02 est d’ores et déjà assurée.

Cette Saison 01 a donc la lourde tâche d’introduire les membres de l’équipage tout en faisant avancer l’intrigue. Sur ce point, le pari est aux 3/4 réussi car si la présentation des Mugiwara est ici aussi extrêmement fidèle à son homologue animé, plusieurs partis-pris minimisent certaines révélations scénaristiques à commencer par la relation entre Garp et Luffy. Dans le même ordre d’idées, on a un peu de mal à comprendre le choix de montrer la violence en frontal (Zoro découpant un adversaire en deux) et parfois de façon beaucoup plus pudique en minimisant de facto l’aspect dramatique bien plus présent dans l’anime. A l’inverse, certains passages particulièrement intenses de l’anime (le discours entre Nami et Luffy avant d’aller affronter Arlong) trouvent un formidable écho en live. Le show de Netflix choisit ses combats (scénaristiques et au sens premier du terme) et si la comparaison anime/live n’est pas toujours à l’avantage de cette dernière, celle-ci se montre parfois à la hauteur de son héritage.

Le jeu des différences

Outre le besoin de presser le pas, on note certaines libertés prises pour les besoins du show. Si d’un côté, certaines sont légères et modifient habilement la structure initiale du récit (Mihawk battant Don Krieg pour affronter plus rapidement Zoro), certaines en revanche (l’affrontement Sanji/Zoro contre Kuroobi), altèrent la nature chevaleresque des combats voire la philosophie guerrière prônée par Zoro, de par l’absence d’antagonistes (Hachi en l’occurrence). Il est d’ailleurs intéressant de s’attarder sur la singularité de One Piece, point fort du manga mais accentuant en live un aspect un peu cringe. On citera par exemple les Den Den Mushi (des escargophones servant à communiquer), aussi drôles dans la série animée qu’ils sont dérangeants dans celle de Netflix. Les personnages anthropomorphes n’échappent pas non plus à ce constat, à commencer par les Hommes Poissons, dont certains (Arlong en tête) peinent à être crédibles. Pourtant, ici aussi, on sent la volonté de bien faire, de s’approcher au plus près du design de l’anime (il suffit de voir Baggy pour s’en convaincre) mais même avec la meilleure volonté, certaines choses semblent compliquées et me font dire que l’apparition de Chopper risque d’être un vrai casse-tête à moins de viser la qualité d’un Sonic ou Pikachu.

Il est également dommage que les combats ne côtoient jamais l’aspect épique de ceux de l’anime, l’affrontement contre Kuro, rapide, brutal et sanglant dans la série originale, s’avérant par exemple très quelconque en live. On ressentira aussi beaucoup moins la montée en puissance de Luffy et la maîtrise de ses pouvoirs pourtant centrale dans le manga d’Oda. Que dire également de certains choix hasardeux de casting (Shanks notamment) ou bien encore de la différence séparant les très riches plans d’ensemble en CGI et les décors beaucoup plus étriqués voire un peu fake par moments. Bref, il y a à boire et à manger dans cette première saison aussi étonnante que déroutante, aussi énergique que perfectible, et si le voyage ne fait que commencer (le producteur du show, Marty Adelstein, déclarait il y a peu qu’il espérait produire 12 saisons), on en vient déjà à se demander par quel miracle les producteurs vont bien pouvoir donner vie au reste de l’épopée, autrement plus ambitieuse et fantasmagorique.

Décalque de l’œuvre originale, One Piece remplit son contrat tout en souffrant de son besoin de brûler les étapes afin de faire avancer l’histoire pour dynamiser son récit ou bien encore de son incapacité à retranscrire la force et l’émotion inhérentes à l’anime. En résulte un entre deux intéressant, surprenant même, mais manquant d’âme et d’épique malgré la bonne humeur communicative de Iñaki Godoy (Luffy), l’énergie des comédiens et les moyens alloués au show.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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