God of War : Il va nous falloir une plus grosse RAM

Réinventer une série n’est jamais chose aisée. Que conserver, qu’enlever ? Faire en sorte de ne pas froisser le fan tout en essayant de lui offrir quelque chose de neuf, de frais. Un pari osé, mais souvent nécessaire. God of War ose, mieux, il va au bout de sa vision quitte à s’attirer les foudres de certains qui ne voudraient absolument voir en lui qu’un nouvel épisode bâti autour des mêmes atouts : une mise en scène hollywoodienne, une action frénétique et un héros revanchard. Si par certains côtés, on trouve bien ces ingrédients dans God of War, le jeu de Santa Monica Studio va plus loin, beaucoup plus loin même. Tout ce qui avait été entrepris sur PS4 se retrouve désormais sur PC dans une version plus fluide, plus belle, plus parfaite tout simplement.

Pour arriver à ce résultat, cinq années auront été nécessaires. Cinq années durant lesquelles Cory Barlog et ses équipes auront tout remis à plat, du gameplay au scénario en passant par l’orientation du jeu. Cependant, tout dans God of War tient du numéro d’équilibriste tant il conserve l’essence même de la série tout en voyant plus loin. En effet, au-delà de la technique et de l’aspect artistique faisant de cet épisode l’un des plus beaux jeux de la PS4 et une franche réussite sur PC, le titre ne renie à aucun moment ses origines ni même ce qui s’est déroulé dans les précédents opus. Il aurait pourtant été plus simple de faire table rase du passé et de rebooter la saga sauf qu’ici, l’ingéniosité tient justement au fait que Barlog a intelligemment usé de la mythologie de la série pour la mixer avec celle nordique afin de faire de Kratos un acteur central, autant à Midgard que dans les huit autres mondes constituant le royaume d’Odin. Logique donc que les développeurs aient davantage voulu s’intéresser au personnage en développant sa personnalité.

THE LAST OF ZEUS

Malgré sa nature divine, il tombait sous le sens de s’intéresser au côté humain de Kratos tout comme l’envie de raconter une histoire plus profonde et tout aussi intense à travers la quête de rédemption du spartiate et le voyage initiatique qu’il va entreprendre avec son fils Atreus suite à la mort de sa femme. Si on pouvait craindre que cet aspect ne soit au final qu’une resucée maladroite de The Last of Us, la façon dont le scénario a été pensé étonne, ce dernier se laissant suivre naturellement même entrecoupé de très nombreux affrontements contre des ogres, trolls et autres créatures légendaires. Intelligente, la narration oscille à chaque instant entre émotion, brutalité et humour, à travers d’excellents dialogues jouant la plupart du temps sur les réactions enjouées d’Atreus contrastant avec celles plus contenues de Kratos. Toutefois, ce God of War ne verse jamais dans l’émotion facile (malgré certains passages obligés) et se trouve même une personnalité qui lui sied à merveille.

Et c’est là que se situe le génie des scénaristes qui ont su trouver le juste dosage entre dialogues savoureux, souvent très drôles, scènes poignantes, mais aussi passages épiques usants d’une mise en scène hallucinante, l’un des points forts de la série depuis ses débuts. De fait, durant un peu plus de 25 heures (nécessaires pour boucler l’histoire principale), on assiste à une aventure équilibrée dont le but n’est pas de redéfinir un personnage, mais bel et bien d’expliquer en quoi son passé ne doit pas influer sur son présent et le futur de son fils. Dès lors, la qualité du jeu tient aussi à ce que Cory Barlog a cherché coûte que coûte à se questionner sur une évolution crédible pour Kratos tout en se permettant certaines ellipses qui pourront en frustrer certains. Combien de temps s’est déroulé entre God of War III et God of War ? Comment Kratos a-t-il rencontré sa femme ? Comment a-t-elle pu réussir à calmer la fureur bouillonnante qu’il avait accumulé durant des années ? Rien de tout ceci ne nous est clairement expliqué sauf qu’à travers certaines réflexions de Kratos sur la douceur, l’intelligence et la force de caractère de sa femme, une image se crée chez le joueur et on finit par avoir l’impression de connaître sa moitié. Oui, l’histoire de God of War tranche avec celle des autres opus, car on parle ici d’une histoire de famille, d’éducation afin qu’Atreus ne reproduise pas les erreurs de son père. Si vous espérez y découvrir une histoire de dieux, passez votre chemin. Certes, ces derniers sont présents, cependant ils ne constituent pas l’élément central du récit malgré le voyage de nos héros ponctué d’affrontements contre certains d’entre-eux.

Non, God of War est bel et bien un épisode tout entier dédié au spartiate et à son fils, à sa nouvelle vie et avoir réussi à le rendre plus humain, malgré sa nature divine, n’était pas mince affaire. Luttant constamment contre cette rage et cette colère sommeillant en lui (symbolisées par des joutes homériques et violentes à souhait), Kratos cherche cette fois une sorte de rédemption à travers Atreus qu’il tentera de protéger en lui cachant son passé afin de le préserver d’un avenir qui l’a amené à l’homme qu’il est. Ici aussi, tout a du sens et on remarquera à ce sujet que les réactions de l’enfant restent crédibles, aussi bien dans ses accès de joie que de colère ou sa propension à tenir tête à son père et même à le chatouiller sur sa nature solitaire.

On saluera également la qualité des personnages secondaires à l’image de Brok et Sindri, deux nains à la personnalité opposée qui nous offriront leur talent de forgerons, mais aussi et surtout Mimir. Ce dernier apporte une véritable bouffée d’air frais et complète à merveille le duo de départ afin de le transformer en un trio à l’alchimie parfaite. Mentionnons d’ailleurs qu’en plus d’être la tête pensante (au sens propre comme au sens figuré) du groupe, Mimir ne sera jamais avare en petites réflexions bien senties à l’égard de Kratos avant de devenir un véritable guide en racontant plusieurs légendes nordiques afin de parfaire les connaissances d’Atreus, mais aussi du joueur. Malin et très représentatif de ce God of War où tout est lié, scénario comme gameplay.

UNE ÉVOLUTION QUI A DU SENS

C’est d’ailleurs la cohérence de l’univers qui force le respect. Tout dans God of War a du sens, tout est interconnecté et pensé dans le but de prolonger le plaisir de jeu. Ainsi, rien que le gigantesque hub que forme Le Lac des Neuf vous ouvrira la voie vers plusieurs quêtes annexes qui, sans être passionnantes, vous permettront de visiter des lieux inédits aussi sublimes que ceux entraperçus durant la quête principale. On saluera également la façon d’amener ces petits plus, soit par le biais des nains vous demandant des services, de cartes au trésor, de spectres réclamant notre aide ou d’Atreus poussant très souvent son père à aller explorer. Logique vu l’impétuosité du garçon et pratique pour rappeler au joueur que rien ne presse, qu’il a le temps d’aller à son rythme. Comme une sorte de leitmotiv, ce God of War aime prendre son temps grâce à un univers plus ouvert, plus contemplatif ou des combats plus ardus demandant aux joueurs d’user de toutes les subtilités de gameplay pour s’en sortir sans trop de heurts.

Ainsi, sans se présenter comme un open world (ce qu’il n’est pas), God of War offre un immense terrain de jeu qu’on adore découvrir, visiter, apprécier surtout lorsqu’au détour de quelques coups de rame, on pénètre dans une magnifique caverne ou qu’on accoste sur une plage cachée débouchant sur un port portant encore les stigmates de guerres passées. Bien que le système de portails dimensionnels aurait sans doute gagné à être un peu mieux pensé, reconnaissons que passer ou repasser par certains environnements ne gêne pas. En effet, outre la beauté des lieux ne cessant d’émerveiller, l’obtention de nouveaux pouvoirs et capacités nous permettra par la suite d’accéder à des endroits jusqu’alors inaccessibles. Un grand classique, mais qui se fait ici à l’intérieur d’un univers qu’on se plaît à (re)découvrir encore et encore offrant qui plus est une durée de vie bien plus grande que celle des précédents opus.

LA MYTHOLOGIE NORDIQUE VENUE DE L’OUEST

Il n’en fallait pas moins pour permettre aux artistes de Santa Monica de laisser libre court à leur imagination débordante. Si le bestiaire semble légèrement moins conséquent que ceux des autres opus, la plupart des créatures en impose, du troll en passant par le loup-garou ou les vagabonds, engoncés dans leurs armures et létaux au point de faire de chacune de ces rencontres des morceaux d’anthologie. Bien entendu, ceci passe également par les effets spéciaux et la mise en scène usant habilement de ralentis de manière à accentuer la fureur de Kratos et la puissance de ses coups.

Puisant dans tout ce que recèle la cosmogonie nordique, les développeurs ont façonné une toile de maître subjuguant par ses panoramas somptueux et ses intérieurs aux tonalités marquées embellis par de sublimes jeux de lumière. Que ce soit à Midgard, Helheim, Muspellheim, l’enchantement est constant et croiser le fer dans une étendue glacée devant un immense géant couché depuis des siècles a de quoi marquer les esprits. On retrouve ainsi toutes les forces de la saga qui se pare en sus d’une dimension bien plus contemplative allant à merveille au système de déplacement permettant de voyager à son rythme, principalement en barque, pour profiter de chaque lieu s’offrant à nos yeux ou attendant qu’on y accoste.

REPENSER UN GAMEPLAY

Si l’aspect artistique est donc difficilement critiquable et que l’histoire, logique et maîtrisée sera sûrement sujet à des débats enflammés, qu’en est-il du gameplay ? Ici aussi, les développeurs n’ont fait qu’améliorer ce qui existait déjà même s’il faudra accepter le système de caméras qui troque les plans d’ensemble contre un angle plus proche afin de plonger littéralement le joueur dans l’action. Néanmoins, s’il est indéniable que le choix a de quoi surprendre pour un God of War, le tout fonctionne parfaitement. Déjà grâce aux indications d’Atreus (puis de Mimir) qui nous renseignera vocalement sur la présence d’ennemis dans notre dos. En plus du retournement rapide qui sera l’une des solutions permettant de faire volte-face, l’esquive en sera une autre, tout comme le contre avec l’aide de notre bouclier. A ce sujet, ce mouvement devra être maîtrisé très rapidement car bien qu’il soit possible de bloquer la plupart des attaques, ledit contre permet de prendre l’ascendant sur son adversaire afin de placer des combos dévastateurs. On saluera aussi le système de flèches de couleurs jaune/rouge/violet (présence ennemie, attaque imminente et projectiles), toujours lisible et très pratique. Finalement, si l’impression de manquer de réactivité pourra nous étreindre les premières minutes, il suffira de quelques échauffourées pour se sentir à l’aise avec la jouabilité.

Toutefois, pour profiter pleinement du gameplay, il faudra savoir analyser les patterns des ennemis et surtout mettre à profit le combat à mains nues et à la hache en switchant constamment entre les deux pour utiliser les attaques associées ou pouvoir toucher certains ennemis insensibles à votre arme. Dès lors qu’on a compris ceci, les affrontements deviennent exquis, déroutants pour le vieux briscard rompu à la série, mais jouissifs, surtout après quelques heures de jeu lorsqu’on commence à débloquer les arbres de compétences à notre disposition.

Pour se faire, il faudra néanmoins bien assimiler le système dans lequel l’évolution des armes, de nos équipements (torse, bras et jambes) et l’acquisition des compétences de Kratos et Atreus sont ici aussi connectées. Dans un premier temps, vous devrez récupérer des matériaux et de l’argent dans des coffres, en accomplissant des quêtes ou en éliminant des ennemis. On déplorera tout de même que certains matériaux soient parfois difficiles à trouver faute d’indications, surtout lorsqu’il s’agit de crafter certains loots (trop nombreux), épiques et légendaires en tête. Ceci vous servira alors à améliorer le niveau de votre hache ou de l’arc d’Atreus. Une fois ceci fait, vous pourrez alors débloquer de plus en plus de compétences (requérant également des matériaux et de l’EXP) qui seront utilisables en combat. Je tiens ici à appuyer encore une fois sur l’utilité d’Atreus lors des rixes. En effet, votre fils vous secondera en débloquant certains passages au fil de l’aventure ou en récupérant de l’expérience grâce à sa capacité à déchiffrer des runes. Il pourra également en plein combat étourdir vos adversaires avec ses flèches ou carrément les attaquer en leur grimpant dessus. Très rapidement, sa présence devient indispensable d’autant que le jeu est bien plus difficile que par le passé même en Normal. Je vous laisse imaginer ce que cela peut donner en God of War, 4ème et dernier niveau de difficulté. Pari gagné pour Cory Barlog donc car en marge de l’histoire justifiant la présence de l’enfant sans jamais nous donner l’impression de nous l’imposer, son utilité en combat est réelle voire salvatrice, surtout lorsqu’il obtient la possibilité de nous ramener à la vie une fois achetée une pierre de résurrection.

De fait, Atreus ne bride en rien la bestialité des joutes, au contraire, il offre à la brutalité des finish moves et autres enchaînements de son père un soupçon de «tactique» toute proportion gardée. En nous obligeant à user correctement de chaque compétence, du mode Rage (montant progressivement en se battant à mains nues) et des capacités du rejeton, chaque affrontement devient une épreuve excitante voire parfois éprouvante tant certains ennemis (dont la couleur de la barre de vie est proportionnelle à leur résistance) nous mettent la pression. Alors oui, la jouabilité a évolué, elle aura du mal à rallier à sa cause tous les fans, néanmoins elle ne renie pas sa nature première, cette sauvagerie, cette férocité qui transparaît à chaque coup porté.

A THOR OU À RAISON ?

Bien que qualifier God of War de tous les superlatifs possibles et inimaginables soit tentant, et ce même en prenant en compte ses quelques défauts finalement peu importants, y jouer reste encore le meilleur moyen de se rendre compte du travail effectué par Sony Santa Monica. Qu’on soit en phase ou non avec l’orientation de ce nouveau volet, une chose semble certaine : il est impossible d’aimer le jeu vidéo et de réfuter entièrement (hormis sous des prétextes fallacieux) ce titre. Ne déviant à aucun moment de sa ligne directrice (et ce jusqu’à son incroyable fin), soutenant intelligemment chaque choix de gameplay, jouant avec les attentes des joueurs (en leur donnant ou non ce qu’ils attendent), ce God of War marque une étape majeure dans la série et pour le beat’em all en règle générale. Ne se sentant jamais bridé par le genre qui le définit, cet épisode s’affranchit des limitations que la série s’était imposées (pour des raisons techniques et de style) et ose nous raconter une histoire recouverte de sang, de culpabilité, mais aussi de tendresse et d’espoir. Le plus beau est qu’il y arrive et qu’une fois refermée la dernière page de cet incunable, l’envie de feuilleter sa suite nous étreint machinalement. Un signe des dieux assurément, mais avant tout de ceux qui ne trompent pas…

KRATOS VA DEVOIR RAMER ENCORE PLUS FORT

Quatre ans plus tard, God of War n’a rien perdu de sa fougue, de sa force et ses qualités sont même encore plus flagrantes sur PC. Ainsi, outre plusieurs options graphiques (ombres, reflets, effets atmosphériques…), le jeu profite bien entendu du combo 4K/60 fps déjà disponible sur PS5 via un patch et prend en charge les technos DLSS et Reflex de NVIDIA tout en étant compatible avec les écrans ultra-larges. Le rendu visuel est donc plus probant que jamais, autant dans les intérieurs et extérieurs fourmillant de détails, l’architecture du jeu ou les effets de lumière encore plus affinés.

De plus, notez qu’il est bien entendu possible de jouer avec le clavier/souris même si on lui préférera un pad d’autant que la DualSense et, bien sûr, les pad Xbox Elite Series sont compatibles. Bref, aucune de raison de passer à côté de ce monument du jeu d’action.

Kratos tranche, découpe, mais frappe avant tout en plein cœur du joueur. Tour à tour féroce, contemplatif, émouvant et drôle, God of War redéfinit la série éponyme sans pour autant réfuter son passé auquel il est intimement lié par son histoire. Nul doute que cet opus ne mettra pas tous les fans d’accord car en fonction des attentes, l’histoire de Kratos et d’Atreus vous parlera sans doute plus ou moins. Pourtant, au-delà des choix opérés à tous les niveaux par les développeurs, God of War respire la sincérité et reste un gigantesque morceau de bravoure mû par son étonnante narration et sa volonté farouche de faire évoluer son héros tout en proposant une aventure incroyablement généreuse. God of War avait marqué la PS2 et PS3 de son empreinte, ce nouveau volet s’impose de lui-même sur PS4 et PC comme le meilleur beat’em all de la machine et accessoirement le meilleur représentant actuel du genre, rien de moins.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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