Après s’être embourbé dans des retards à répétition, Darksiders aurait pu succomber au piège de la sortie précipitée afin de permettre à l’éditeur et au développeur d’empocher un retour sur investissement. Attendu, désiré, le titre semblait s’éloigner à mesure qu’il s’approchait de nous. Un signe de mauvais augure annonçant un jeu d’action démesuré mais sans âme. Septembre 2010, Guerre débarque enfin sur PC et le constat est simple : l’aventure-action s’est trouvé un nouvel ambassadeur.
Darksiders est une surprise, une vraie comme nous aimerions en avoir plus souvent. Autant ne pas tourner autour du pot : Vigil Games nous a concocté une œuvre frôlant la perfection, chaque détail de l’aventure étant peaufiné à l’extrême. Cela ne semblait pas gagné de prime abord d’autant qu’on pouvait voir en ce titre un simple clone déguisé de God of War. Heureusement il n’en est rien car si le soft ici présent s’inspire grandement de l' »actioner » de Sony, il s’émancipe de son modèle en œuvrant plutôt du côté de l’action/aventure. De fait, Darksiders n’est pas un beat’em all et se rapproche bien plus d’un Zelda avec un mélange parfaitement équilibré entre énigmes et empoignades musclées. C’est d’ailleurs un de ses nombreux points positifs dans le sens où l’alchimie des genres, amenant phases de réflexion et combats épiques contre des boss, offre une véritable personnalité à ce titre pourtant référentiel. Un paradoxe étonnant qui ne remet pourtant jamais en cause les fondations même du projet dont l’avenir semble déjà s’étaler sur plusieurs épisodes.
L’Apocalypse ici dépeinte se veut plus biblique que jamais puisque les hordes des enfers menées par le Destructeur sont cette fois les instruments de notre malheur. En somme, il n’est ici pas ou peu question de race humaine qui semble n’être qu’une vague légende, et ce dès l’introduction voyant la moitié de New York voler en éclats. Cette entrée en matière n’est d’ailleurs qu’un pale reflet de ce qui nous attend par la suite, théâtre des événements renvoyant à quantité de films ou jeux récents. Pourtant, après deux premières heures en ligne droite placées sous le signe de l’action, Darksiders nous montre son vrai visage, celui d’une aventure plus ouverte, plus ambitieuse, oscillant constamment entre le rentre-dedans féroce et la réflexion. Il y a de quoi y perdre pied surtout lorsqu’on se retrouve à l’intérieur d’une cathédrale composée de plusieurs étages et parsemée de mécanismes complexes. L’influence Zelda est incontestable, autant dans les pièges que dans la façon de les contourner. Si Darksiders bouffe à tous les râteliers, on parlera davantage d’hommage que de copier/coller bête et méchant.
Ainsi, avec la rigueur d’un métronome, nos différentes habiletés seront mises à contribution pour progresser jusqu’à ce que la plupart d’entre elles se montrent complémentaires durant les dernières heures réclamant jugeote et réflexes affûtés. A ce petit jeu, Vigil Games s’est montré particulièrement brillant en saupoudrant le tout de batailles nerveuses et d’affrontements homériques contre des boss tous plus réussis les uns que les autres. C’est un fait, la balance entre chaque élément est d’une précision absolue mais aussi synonyme de montée en puissance trouvant dans son climax une réelle démesure. Dans le dernier tronçon, Guerre, piégé au centre d’une guerre céleste, profitera d’un potentiel considérable lui offrant une quasi indestructibilité. Tranchant dans le vif, utilisant aussi bien armes blanches qu’armes à feu, contrôlant la courbe du temps, chevauchant Ruine, son destrier démoniaque, le preux guerrier deviendra au fil des heures un héros taillé dans un bloc de courage, imperturbable et mû par la volonté de mener à bien sa mission. Quelle est-elle ? Vous le découvrirez bien assez tôt, les nombreux protagonistes de l’histoire n’hésitant jamais à jouer carte sur table ou au contraire à faire preuve de perfidie afin d’offrir un sauf-conduit ou une damnation éternelle pour le genre humain.
C’est donc durant une vingtaine d’heures que nous suivrons les pérégrinations de Guerre qui sera forcé de se plier aux ordres du démon Samaël afin d’éviter qu’une entité encore plus puissante ne s’empare de la Terre. Pour ce faire, le Cavalier devra écumer un vaste royaume afin d’occire chacun des lieutenants du Destructeur. L’occasion pour nous de gambader dans des décors vastes, éclectiques et regorgeant de défis. A ce sujet, si vous n’aurez besoin que de vos cellules grises, et d’un shuriken de deux mètres de diamètre pour déjouer certains puzzles, vous devrez user à bon escient de vos armes. Épée joliment sculptée, faux, pétoire de l’Inspecteur Harry, arme à énergie piquée à un bidasse de Gears of War, les moyens e faire place nette ne manqueront pas. Cependant, il vous sera possible, via des menus d’action rapide, de switcher rapidement pour piocher dans votre arsenal ou pour utiliser un de vos pouvoirs. Du coup, les combats deviendront rapidement intuitifs et encore plus féroces grâce à des actions contextuelles débouchant sur des finish moves sanglants. Ces affrontements atteindront même leur paroxysme face aux immenses bras droits du Destructeur ou lors de chevauchées à bride abattue durant lesquelles, juché sur le dos de Ruine, vous pourrez taillader des nuées d’adversaires essayant vainement de vous désarçonner.
Jamais à court d’idées et cherchant coûte que coûte à maintenir la pression jusqu’au bout, les développeurs s’inspireront même dans la dernière ligne droite de Portal grâce à des énigmes basées sur des portails dimensionnels. Inattendu mais parfaitement amené grâce à des puzzles intéressants, malheureusement inscrits dans un passage un peu long, basé sur des actions plus ou moins similaires à effectuer. On pardonnera aussi au jeu un certain conventionnalisme dans son interface ou l’obtention de techniques, combos et autres items, liée aux âmes collectées servant ici de monnaie. Un écueil qui n’en est pas vraiment un sachant que Vulgrim, démon, allié mais aussi marchand, nous permettra aussi de revenir dans des endroits déjà visités via un système de transport bien pratique. Il sera néanmoins plus sage d’attendre la toute fin de l’aventure pour essayer de récolter coffres et autres trésors cachés, une fois des capacités bien spécifiques acquises, nécessaires pour atteindre divers endroits.
Au final, Darksiders subjugue par sa très forte personnalité et sa volonté de proposer autre chose tout en citant à tout va les ténors du genre. Certains pourront y voir une forme de plagiat même si dans le cas présent, le travail de Madureira et de ses équipes ne va clairement pas dans ce sens. Qui plus est, la volonté assumée de s’appuyer sur un visuel marqué, et marquant, assure à l’aventure des sensations bien loin de celles d’un Zelda, plus familial et politiquement correct. Surprenant dans ses influences, intelligent, violent, démonstratif, Darksiders marque plus que jamais la rencontre entre un univers baroque et un genre trop souvent limité à la saga culte de Nintendo. Généreux jusqu’au-boutisme, toujours impliqué dans la destinée de son personnage central sans pour autant perdre de vue le plaisir du joueur, l’oeuvre de Vigil Games étonne à tous les niveaux et promet un avenir radieux pour qui chercherait un univers fouillé parsemé de repères multiculturels.
En soignant aussi bien le fond que la forme, Vigil Games nous offre un pur chef-d’oeuvre d’action-aventure. Équilibré, rythmé, contemplatif, rageur, le titre fait naître moult sentiments tout en mélangeant les influences. Prince of Persia, God of War, Zelda, Portal, autant de modèles insufflant une énergie sans cesse renouvelée à Darksiders. Eclectique et homogène, poussant un peu plus le concept du « bigger, better, louder », ne se reposant jamais sur ses acquis, impressionnant à souhait, le jeu de THQ s’impose comme une étoile dans le ciel. En espérant que les joueurs suivent sa lumière qui devrait montrer la voie à d’éventuelles suites. On en frémit d’avance…