Après deux opus n’ayant pas fait l’unanimité au point de mettre la saga en pause pendant sept ans, il était logique que Fede Alvarez (Don’t Breathe, le remake d’Evil Dead) ait voulu réunir les fans de la franchise autour d’un film aussi référentiel que formellement maitrisé. Le résultat, contestable sur certains points, n’en reste pas moins la résurrection qu’on était en droit d’attendre.
En étoffant le lore de la saga avec pour ambition de créer un pont entre ce qu’on connait et ce qu’on ignore, Ridley Scott n’avait pas choisi la voie de la facilité avec Prometheus et Alien : Covenant. La possibilité de provoquer un rejet des fans pour les nouveaux personnages (le pourtant fascinant David en tête), l’éventualité de décevoir en créant une mythologie autour des Ingénieurs, l’envie d’expliquer les origines du Xénomorphe au risque d’effacer toute trace de mystère dans une série comme Alien… Le parti était extrêmement risqué et sera d’ailleurs partiellement rejeté par nombre de spectateurs pour de bonnes et de mauvaises raisons. Si l’objectif n’est pas ici de réhabiliter des films un peu trop souvent décriés à mon sens, cette contextualisation est importante pour expliquer la direction prise par Fede Alvarez avec Alien : Romulus.
En effet, difficile de remettre en question ce besoin de renouer avec l’ADN de la saga quitte à sacrifier l’originalité qui devrait davantage être de mise avec la série Alien : Earth. Non, Alien : Romulus renoue dès ses premières images avec la fin du premier Alien et exploite à nouveau le schéma classique de la découverte d’un lieu abandonné infesté de Facehuggers attendant patiemment leurs victimes pour muer rapidement afin d’orchestrer un nouveau jeu de massacre.
Mettant cette fois en scène de jeunes colons, devant rester dans la colonie de Jackson’s Star pour y travailler des années durant dans des mines, Romulus met à nouveau en avant un groupe face à l’inconnu qui va cette fois devoir échapper à leur quotidien mais aussi et surtout à leur future prison en espérant y trouver des caissons cryogéniques afin de rejoindre la planète Yvaga. Désireux de s’affranchir de ce diktat économique prétextant un manque de travailleurs pour garder une main d’œuvre bon marché, Rain (campée par une impeccable Cailee Spaeny vue notamment dans Civil War et Priscilla), Tyler, sa sœur Kay, Bjorn, son cousin Navarro ainsi que l’androïde Andy (interprété par l’excellent David Jonsson), empruntent un vaisseau et s’envolent vers leur destination, la station spatiale Renaissance laissée à l’abandon par la compagnie Weyland-Yutani.
Présentant ses personnages sous un angle social et politique, à travers une colonie foisonnante que n’aurait pas renié Syd Mead, Romulus délaisse néanmoins cette approche en faisant davantage le focus sur certains d’entre eux, Rain et son «frère» Andy (leg de son père à sa mort) en tête. Si le tout est mieux amené que dans Covenant qui manquait drastiquement de fond en faisant de son équipage de la pure chair à canon, Romulus tente tant bien que mal de caractériser ses héros afin de créer l’empathie. C’est parfois, très réussi (Andy justement), parfois beaucoup moins (Bjorn ne cessant de rabrouer Andy en nous faisant comprendre qu’il déteste les androïdes). Toutefois, Alvarez parvient à créer suffisamment de lien entre ses personnages pour rendre leur relation crédible. Ainsi, en faisant d’Andy quelqu’un de fragile mentalement, un androïde obsolète, ce dernier devient aussi attachant que le David de Prometheus était fascinant. Andy ne cherche pas à en savoir plus sur la nature humaine, il n’est là que pour protéger Rain et aider l’équipe puisqu’étant le seul à pouvoir communiquer avec Mother, l’IA créée par Weyland-Yutani.
De fait, en le rendant central, autant dans sa naïveté que son évolution au cours du récit, Romulus le place comme la pièce maitresse des événements à venir. L’idée est excellente même si par certains côtés, elle minimise l’évolution des autres personnages voués à n’être que de futures victimes ou au contraire les dignes successeurs d’Ellen Ripley et de l’escouade de marines d’Aliens. Et dieu seul sait qu’il y aura fort à faire, les Facehuggers n’ayant jamais été aussi nombreux et véloces, grâce au travail de Weta Workshop, Gillis Effect et Legacy Effects pour un subtil mélange entre effets pratiques et CGI. Alvarez ne perd donc pas de temps avant de déclencher les hostilités et de jeter ses acteurs en pâture à ses créatures. Retrouvant en partie la nervosité et de la fureur qui imprégnait le remake d’Evil Dead, le réalisateur uruguayen use au mieux des espaces confinés de la station qui renoue avec l’aspect organique du Nostromo, la station Renaissance mutant au fur et à mesure du film jusqu’à donner l’impression d’engloutir littéralement le groupe.
Ainsi, sur fond de catastrophe à venir (l’écrasement de la station sur les anneaux de Jackson’s Star) avant le sacro-saint compte à retour final, s’opère un nouveau jeu du chat de la souris entre les prédateurs et leurs proies. Misant sur la tension du premier film et l’action du deuxième, Romulus absorbe ces deux ambiances en lorgnant également vers l’opus de Jeunet dans un final pour le moins étonnant. La méthode éprouvée par Scott et Cameron est à nouveau mise à profit par Alvarez enchaînant plusieurs scènes très réussies, de la séquence en apesanteur à celle du couloir infesté de Facehuggers. Le film aurait ainsi pu s’affranchir de certains clins d’œil un peu trop appuyés pour s’offrir une personnalité plus marquée mais qu’importe, il prend le meilleur de ses aînés en créant même une sorte de connexion entre le dernier diptyque de Scott et Alien, le huitième passager.
Alien: Romulus remplit avec précision son cahier des charges en respectant les marges, en ne débordant que rarement, de peur sans doute de froisser les fans qu’il brosse très souvent dans le sens du poil. On pourra lui reprocher plusieurs incohérences, un travail en surface concernant certains personnages ou ce manque d’originalité, de folie, même si celle-ci est remplacée par des élans de rage lui valant quelques morceaux de bravoure sous couvert d’une atmosphère parfaitement maîtrisée, tendue et sensitive grâce à un excellent travail sonore et la musique de Benjamin Wallfisch (Blade Runner 2049, Invisible Man). L’exercice, bien que parfois conventionnel, n’en reste pas moins visuellement somptueux et fulgurant tout en traçant une ligne entre l’avenir de Cailee Spaeny et celui de Signourey Weaver au sein de la saga.
Engoncé entre son envie (besoin) de citer la première quadrilogie pour raconter les événements se situant entre les deux premiers films, Alien : Romulus perd en originalité ce qu’il gagne d’un point de vue formel. Profitant d’une photo magnifique et d’un sound design efficace, le film renoue également avec l’aspect organique, anxiogène des débuts de la saga. Jouant avec son héritage tout en essayant de rendre intéressants ses personnages (ce qu’il arrive partiellement à faire), le long-métrage d’Alvarez transpire la fureur et la passion, au risque de parfois s’embourber dans un fan service un peu facile. Un constat qui n’empêche pourtant pas de ressentir ce frisson, cette excitation que nous avaient procuré les films de Scott et Cameron.