Avec son histoire intimiste, ses personnages attachants et sa période de l’histoire peu usitée dans le jeu vidéo, A Plague Tale : Innocence avait réussi à marquer les esprits en 2019. Trois ans plus tard, le studio français Asobo retourne dans la France moyenâgeuse afin de conclure la destinée tragique d’Amicia et de son jeune frère Hugo.
Bigger and better, tel semble avoir été le leitmotiv d’Asobo durant le développement de Requiem qui s’avère riche, très riche, trop riche sans doute. Si Innocence se complaisait dans une construction longitudinale afin de mieux maîtriser son récit, son rythme et son gameplay sans cesse enrichi au fil de l’aventure, Requiem s’ouvre un peu plus, dans tous le sens du terme, en intégrant de vastes parties de cache-cache avec des nuées de soldats. On peut ainsi se demander si les développeurs ne se sont pas perdus en chemin en affichant des ambitions trop grandes qui ont quelque peu desservi leur propre titre profitant néanmoins de personnages toujours aussi attachants.
Hugo délire
Justement, au-delà de son gameplay, ce sont une fois encore les protagonistes de A Plague Tale, avec leurs forces et surtout leurs faiblesses, qui constituent le noyau dur de l’aventure. Après avoir fui l’Inquisition dans le précédent volet, Amicia et son jeune frère Hugo ne cherchent qu’à profiter un tant soit peu de l’accalmie qui leur est offert en acceptant bon grès mal gré le pouvoir d’Hugo ou plutôt sa malédiction lui permettant de contrôler des hordes de rats mais altérant petit à petit sa santé. Après que le magister Vaudin ait annoncé à Amicia que la Macula ronge son frère de l’intérieur, celle-ci entreprend alors un nouveau voyage pour sauver son frère en suivant les rêves prémonitoires de ce dernier.
Si Innocence s’articulait autour d’une fuite en avant, nous passons ici à un périple mû par la nécessité de sauver un proche et donc de braver les dangers et la distance, aussi grande soit-elle. De ce postulat de départ, naît une aventure plus ouverte, plus ambitieuse, plus exotique aussi bien que débutant sous le soleil de Provence. Sublimée par les artistes d’Asobo, la région de France, qui n’a jamais été aussi belle, se pare de ses plus beaux atours synonymes de calanques escarpées, champs balayés par les vents et villages animés. Sur ce point, difficile d’émettre la moindre critique tant la découverte du titre est un plaisir de chaque instant. Mais alors que le début du jeu se montre plus clément avec ses deux personnages principaux, une nouvelle menace de tardera pas à les rattraper, d’autant que le pouvoir d’Hugo va se montrer plus destructeur que jamais. Alors qu’Innocence nous présentait un garçon découvrant ses capacités, Requiem embrasse cet élément fantastique en faisant de l’enfant le centre de bien des convoitises.
Le contraste entre l’émerveillement constant d’Hugo et le poids pesant sur ses épaules confère à cette suite un charme particulier qui doit également beaucoup à la relation entre le gamin et sa sœur mais aussi au sympathique trio qu’ils forment avec le débrouillard Lucas ou bien encore les nouveaux compagnons de voyage qu’Amicia trouvera sur sa route. Une très bonne idée accentuant encore un peu plus l’aspect aventureux de ce volet et lui offrant un surplus d’énergie d’autant que la personnalité exaltée d’Arnaud complète parfaitement celle plus mesurée de Sophia, capitaine d’un navire qui permettra à tout ce petit groupe de voguer vers de nouveaux horizons. Si Innocence se résumait à La Guyenne et ses environs, le deuxième acte de Requiem nous emporte dans un endroit bien plus lumineux mais comprenant tout autant de dangers. Si je me garderai bien de trop vous en révéler, il est intéressant de noter que cette partie pourra surprendre, autant dans ses zones plus ouvertes mais aussi ses influences cinématographiques évidentes ne débouchant (malheureusement) pas toujours sur une noirceur qui aurait parfaitement siée à cet épisode. Sans remettre en question toute l’histoire, il y avait sans doute mieux à faire dans la seconde moitié du jeu, plus occupé à étirer ses séquences d’infiltration qu’à peaufiner la destinée d’Amicia et Hugo au point de louper le coche lors de certains passages pourtant censés être importants émotionnellement. En somme, si on retiendra tout de même un climax, surprenant et émouvant à plus d’un titre, l’histoire de A Plague Tale : Requiem aurait sans doute méritée une qualité d’écriture aussi affinée pour l’ensemble de ses personnages afin d’être plus prégnante à des moments clés.
Grandeur et décadence
Comme je le disais en préambule, les développeurs ont vu très grand, en multipliant tout par deux. L’aventure plus étriquée du premier volet cède ici sa place à un périple se nourrissant de décors variés, grandioses et d’un gameplay affiné bien que reprenant les bases de celui du premier opus. Certes, le sentiment de déjà-vu est omniprésent mais l’ensemble suffisamment maîtrisé pour que l’envie d’explorer ne faiblisse pas, du moins, jusqu’à un certain point. En voulant proposer une suite on ne peut plus généreuse, Asobo est allé piocher ses influences du côté de chez Naughty Dog, aussi bien pour ce qui est de sa construction que certains gimmicks de gameplay. Si la volonté de bien faire se ressent à chaque minute de jeu, il est aussi évident que les Français n’ont pas eu le même budget ni même le temps pour affiner la construction afin de toujours trouver le point d’équilibre entre narration et gameplay.
Cet état de faits se voit particulièrement bien en prenant de la hauteur sur l’ensemble du jeu, avec une introduction profitant de l’effet de découverte, un deuxième acte synonyme de ventre mou et une dernière ligne droite bien plus dynamique et inspirée, d’ailleurs beaucoup plus proche de ce que proposait Innocence. C’est sans doute là le principal problème de Requiem qui ne parvient pas toujours, à l’inverse de son aîné, à retenir pleinement l’attention durant ses phases de gameplay, la faute à des séquences d’action trop classiques et des passages d’infiltration ne parvenant que rarement à se réinventer. Dommage d’autant que Requiem dispose d’un gameplay amélioré qui permet cette fois de crafter davantage de types de munitions afin qu’Amicia éteigne des feux, attire des rats à un endroit précis, enflamme des ennemis, crée de petites explosions, etc. Si Hugo n’est pas en reste (puisque pouvant littéralement prendre le contrôle de gigantesques masses de rongeurs), on note une construction étrange faisant état d’une évolution de gameplay ne parvenant pas à suivre l’étirement de l’aventure réclamant cette fois plus d’une vingtaine d’heures pour en voir le bout. Ainsi, si on passera notre temps dans des zones plus ouvertes truffées de soldats, de fourrés où s’y cacher et de rats n’attendant qu’une occasion de boulotter nos ennemis, on changera rarement la méthode pour les passer même si l’arrivée de Sophia et Arnaud dans l’équipe apportera un soupçon de renouveau. Si le tout fonctionnait parfaitement dans Innocence, l’intérêt s’étiole à mesure qu’on avance dans Requiem d’autant que ces longues séquences semblent parfois prendre le pas sur l’histoire.
D’ailleurs, à l’inverse d’un The Last of Us qui parvenait en partie (surtout dans Part I) à insuffler suffisamment d’aérations à son récit à travers des moments plus contemplatifs, Requiem enchaîne très souvent plusieurs phases d’infiltration simplement entrecoupées par de courts moments d’accalmie permettant à Amicia et Hugo de rejoindre le lieu suivant tout en masquant des temps de chargements.
Frustrant car à certains moments, Requiem se montre prompte à intégrer du sang neuf lors de séquences héritées d’Indiana Jones, d’une phase nous demandant d’éviter les attaques d’un aigle, de courses-poursuites haletantes ou de diverses énigmes qui sont malheureusement écourtées par la propension de Lucas à nous aider avant même qu’on ait commencé à chercher la solution. Ici aussi, on aurait apprécié, à la manière de ce que proposent les jeux de Naughty Dog, d’avoir un indice optionnel ou de continuer à chercher la solution du puzzle. De plus, à intervalles réguliers, on devra subir des séquences en zones fermées accueillant des vagues d’ennemis, longues et inintéressantes au possible. On pourra également pester contre cette maniabilité pas toujours optimale puisque nous demandant constamment de passer en pleine action, via une roue des armes, d’un type de munitions à l’autre (sachant qu’elles sont complémentaires) ou d’alterner entre notre arbalète, lance pierre ou bien encore des pots pour étendre la zone d’effet desdites munitions. Si on finit par prendre le coup, il n’en reste pas moins que la jouabilité aurait gagnée à être plus fluide.
Requiem for a Dream
Malgré ses défauts, la suite d’Innocence parvient la plupart du temps à subjuguer, d’abord dans ses panoramas, bien plus éclectiques que par le passé, somptueux pour la plupart et bénéficiant d’ambiances travaillées alternant entre les magnifiques vues de Provence, des citées dévastées par des hordes de rats, les rêves oniriques d’Hugo ou bien encore des références à Alien ou Midsommar. Les artistes d’Asobo se sont fait plaisir d’autant que le tout reste cohérent malgré la pluralité des influences. Ensuite, dans les superbes compositions d’Olivier Derivière, toujours justes dans leur utilisation et accentuant à merveille les moments de calme comme de stress. Artistiquement, Requiem ne souffre donc que de peu de défauts, si ce n’est quelques animations trop rigides qu’on incombera à un manque de budget et/ou de temps de développement.
Si il est très agréable de retrouver Hugo et Amicia qui forment toujours un duo aussi attendrissant, c’est donc bel et bien dans son envie de proposer à tout prix une aventure plus longue que Requiem se casse un peu les dents, en ne trouvant que rarement le point d’équilibre entre son histoire et ses phases de jeu, hormis dans ces quatre derniers chapitres, épiques et émotionnellement plus intenses. Il n’en reste pas moins qu’Asobo peut être fier du travail accompli qui parvient très souvent à côtoyer la qualité de ses modèles tout en clôturant une histoire qui résonnera longtemps dans nos mémoires.
Pensée comme une suite directe du précédent volet, Requiem affiche pourtant des ambitions bien plus grandes à travers la pluralité de ses lieux, le nombre de personnages rencontrés ou bien encore sa durée de vie. Ne parvenant pas toujours à trouver le juste équilibre entre narration et gameplay, perclus de petits défauts, le jeu se perd souvent dans sa folie des grandeurs avant de revenir à ses personnages à travers une histoire intimiste et épique à la fois devant autant à l’implication de ses artistes, ses programmeurs ou bien encore son compositeur, Olivier Derivière, signant ici une bande originale d’une justesse irréprochable.