Portant plus que jamais son titre avec la pandémie de COVID, le dernier James Bond de Daniel Craig se sera longuement fait attendre. Ultime baroud d’honneur pour le blondinet qui aura redéfini le personnage avec brio, Mourrir Peut Attendre avait la lourde tâche de faire oublier Spectre, vide et peu inspiré, tout en offrant à Craig un dernier opus à la hauteur de son charisme. Pari gagné même si le long-métrage de Cary Joji Fukunaga aurait gagné à faire quelques concessions.
Dès son premier plan, Mourir Peut Attendre affiche un côté référentiel qui ne le quittera pas durant 2h43. Renvoyant directement à la fin d’Au Service Secret de sa Majesté, James et Madeleine roulent sur une route de montagne, affichant une quiétude et un amour réciproque, sur fond du We Have All the Time in the World de Louis Armstrong. Tranchant radicalement avec l’image à laquelle nous a habitué 007, la séquence s’offre également une parenté avec le film de Peter Hunt pour mieux coller à la fin de Spectre. Profitant des somptueux panoramas de la ville italienne de Matera, l’introduction renoue également avec le passé de James lorsque ce dernier vient se recueillir sur la tombe de Vesper, en guise d’ultime adieu à sa bien aimée avant de voguer vers de nouveaux horizons sentimentaux. Bien entendu, le calme cède rapidement à la tempête déchaînée par Ernst Stavro Blofeld, pourtant emprisonné dans les murs du MI6.
Alternant entre passé et présent, l’ouverture de ce nouveau James Bond se montre en tout point virtuose et totalement raccord avec le travail effectué depuis Casino Royale. Plus intimistes, mais aussi plus sombres, plus brutales, les premières minutes permettent au réalisateur de la Saison 01 de True Detective d’afficher de grandes ambitions, autant dans la forme que le fond. Malheureusement, passé cette longue et très efficace introduction, le film revient vers quelque chose de plus didactique en essayant coûte que coûte de conclure tout ce qui doit l’être avant que Daniel Craig ne cède définitivement la place.
Mourir Peut Attendre devient alors une sorte de créature hybride essayant de rendre hommage à son héritage, ce qu’il a lui même créé tout en se voulant actuel (à travers, notamment, ses personnages féminins) et divertissant.
En un sens, il y réussit mais au prix d’une histoire malheureusement assez décevante servie par des personnages effacés à l’image de Safin (Rami Malek), méchant dans la grande tradition Bondesque, propriétaire d’une base renvoyant avec délice à celles des premières heures de la saga et soutenu par Primo, son homme de main aussi efficace durant l’introduction que secondaire dans les deuxième et troisième actes.
On reprochera également aux scénaristes de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance à Nomi (excellente Lashana Lynch), nouvelle détentrice du matricule 007 après le départ de James Bond. Une idée très intéressante, dans l’air du temps, pour une exécution maladroite, Nomi étant vite reléguée au rang de faire-valoir à l’intérieur du MI6 et n’ayant le droit qu’à deux scènes d’action, courtes qui plus est. Même son de cloches avec le personnage de Paloma (Ana de Armas), agent de la CIA (prétendument) sans expérience mais explosant l’écran (dans tous les sens du terme) lors d’une incroyable scène d’action, élégante, Bondesque au possible mais ne débouchant sur rien de concret. On comprend alors que les auteurs ont préféré se concentrer sur Madeline (Léa Seydoux) afin, de conclure son arc narratif. Cela a du sens mais dénote beaucoup trop de ce besoin irrépressible de tout boucler quitte à sacrifier certaines parties de l’histoire en donnant l’impression d’assister à une sorte de défilé durant lequel chaque personnage (M, Q, Miss Poney Penny, Felix Leiter, Blofeld…) y va de sa petite apparition, aussi fugace soit elle.
Reste que Mourir Peut Attendre propose un vrai spectacle, certes inégal, plutôt timoré dans son action très académique et en cela très loin de Casino Royale, mais toujours mû par l’envie d’offrir une qualité visuelle, que ce soit à travers ses magnifiques décors, la très belle photo de Linus Sandgren (First Man) ou sa réalisation maîtrisée.
Sans égaler Casino Royale ou même Skyfall, Mourir Peut Attendre constitue une très bonne conclusion pour Daniel Craig. Si on eut apprécié que les scénaristes trouvent un meilleur équilibre entre l’histoire à proprement parlé et le besoin de conclure tout ce qui était resté en suspend à la fin de Spectre, le film de Fukunaga n’en reste pas moins divertissant, émouvant et visuellement éclatant.