Assassin’s Creed : Le saut qui a les foies ?

Ayant très vite compris l’intérêt d’étendre l’univers de sa franchise Assassin’s Creed au delà des frontières du jeu vidéo, Ubisoft développe en l’espace de neuf ans un lore tentaculaire s’étirant sur plusieurs décennies voire millénaires si l’on prend en compte l’origine des Pommes, artefact au centre de l’intrigue. BDs, romans, animes, jeux de société, la saga prend de l’ampleur en complexifiant son intrigue via différentes époques, différents assassins, différents moyens de communication. Bien qu’Ubi se soit déjà attaquée à l’adaptation live en 2009 via la mini série (découpée en trois épisodes) Assassin’s Creed : Lineage, il aura fallu attendre 2016 pour enfin voir la première véritable adaptation du jeu sous l’égide de la Twentieth Century Fox, Ubisoft Motion Pictures et le charismatique Michael Fassbender tenant ici la double casquette d’acteur mais aussi de producteur.

Une histoire de pommes à travers le temps…

Bien que s’inscrivant dans la continuité des jeux et donc intégré au canon, le film Assassin’s Creed choisit de mettre en avant un nouvel assassin plutôt qu’une figure connue des fans. Logique, puisque si l’on excepte Ezio Auditore et Altaïr, chaque jeu ou produit transmedia s’est fendu d’un nouveau personnage central. Le film se devait de faire de même ne serait-ce que pour permettre une approche didactique de l’univers tout en explorant une nouvelle époque.

Pour autant, cet aspect du film est sujet à quelques regrets dans le sens où un simple carton explique en quelques lignes, en guise d’ouverture, qui sont les Templiers, les Assassins tout en décrivant sommairement leur lutte pour les Pommes dont on nous garde bien d’expliquer la provenance. Un parti pris étrange car si les fans connaissent tout de ces artefacts, de leur pouvoir à leur origine, les non initiés pourront être quelque peu déstabilisés puisqu’il n’est jamais fait mention une seule fois de Ceux-qui-étaient-là-avant ou bien encore de la véritable puissance de l’objet.

Toutefois, l’idée d’en faire quelque chose de plus symbolique permet de davantage s’attarder sur le sort de Cal Lynch (Michael Fassbender, très à l’aise dans son rôle), sauvé d’une condamnation à mort par la société Abstergo qui entend bien l’utiliser pour retrouver une Pomme à travers le passé d’un de ses aïeux. D’ailleurs, l’ensemble du long-métrage s’intéresse essentiellement au parcours de Cal, que ce soit à l’intérieur des laboratoires de la firme ou bien à travers l’histoire de son ancêtre Aguilar de Nerha durant l’inquisition espagnole au XVème siècle.

Ce côté claustrophobique (le film, à l’exception des flash-back historiques, se permettant simplement de sortir de l’enceinte d’Abstergo à la toute fin) donne des faux airs de blockbuster sans le sou, renforcé par un seul acteur central autour duquel gravitent nombre de seconds couteaux qui auraient grandement gagnés à être mieux intégrés. En effet, que ce soit dans le présent ou le passé, aucun personnage n’est véritablement indispensable. De fait, ils ne servent qu’à consolider l’aspect sectaire ainsi que l’amitié qui lie les assassins sans pour autant être essentiels au récit. Dommage car on ne ressentira dès lors aucune empathie pour les frères d’armes de Cal ou d’Aguilar vu qu’ils ne sont simplement mis en avant que lors des scènes d’action. Même son de cloches pour la relation entre Cal et son père, maladroitement décrite et subissant de plein fouet l’ellipse temporelle du film.

Malgré ces errances, Assassin’s Creed étonne positivement sur plusieurs points. Comme décrit plus haut, certains éléments deviennent beaucoup plus symboliques que dans le jeu et servent parfaitement le propos et l’évolution de l’intrigue. On pensera par exemple au Saut de la Foi qui de mouvement «cool et gracieux» dans le jeu devient ici un moment indispensable du rite initiatique des Assassins débouchant sur une parfaite synchronisation entre Cal et Aguilar.

… Rendue crédible par un aspect visuel maîtrisé

De manière générale, le film de Justin Kurzel adopte un point de vue très intéressant sur l’univers du jeu d’Ubi et ce même à travers le présent où l’Animus s’avère bien plus crédible que dans le jeu. Sous forme de gigantesque bras articulé, le mécanisme permet, de façon plus réaliste, à celui qui l’utilise d’évoluer dans la peau de son ancêtre en effectuant toutes sortes de mouvements acrobatiques, ce qui est parfaitement mis en avant lors des affrontements alternant constamment entre présent et passé. Cette façon de faire a tout de même tendance à nous sortir des scènes d’action, par ailleurs parfaitement chorégraphiées et plutôt bien mises en avant grâce à une caméra volante et toujours habilement placée afin de sacraliser les mouvements iconiques et autres poses stylées. En somme, Kurzel tient à tout moment à nous faire comprendre comment fonctionne l’Animus bien que les premières explications légitimes cèdent vite leur place à un procédé un peu rébarbatif voire intrusif.

Au delà de ce constat, le réalisateur de Macbeth, sur lequel nous n’aurions pas vraiment parié un copec pour mener à bien cette adaptation, s’en sort avec les honneurs. Magnifiant certains plans de l’Espagne d’antan, le real australien n’abuse jamais de l’effet fan service se résumant à quelques petits détails qui ont leur place dans la progression de l’histoire. Une très bonne chose même si les fans seront ravis de retrouver certaines scènes des jeux (l’introduction du premier Assassin’s Creed, la course-poursuite en chariots d’Assassin’s Creed II…), la gestuelle des Assassins lors de poursuites sur les toits espagnols ou des affrontements basés sur la rapidité, les parades et les contres fulgurants.

Oscillant entre tableaux de maître (à l’image de la superbe introduction dans le passé via un plan séquence fluide et gracieux), séquences d’action menées tambour battant et scènes plus posées, le film profite d’une tonalité scindée en deux offrant aux époques une ambiance bien distincte. Ainsi, si l’Espagne du XVème siècle baigne dans des couleurs chaudes, des tons ocres et une atmosphère poussiéreuse, le Présent au contraire en prend le total contre-pied via les locaux d’Abstergo, froids, aseptisés, comme si l’architecture du lieu reflétait le caractère des Templiers et à plus forte raison la personnalité de Rikkin, personnage maintes fois évoqué dans les jeux et incarné à l’écran par le grand Jeremy Irons. Si on aurait apprécié que le personnage soit également plus creusé, tout comme la relation avec sa fille Sofia (Marion Cotillard), Irons insuffle cette élégance et cette dureté, inhérentes au personnage mû par de louables idéaux cachant bien entendu un but beaucoup plus pernicieux que ne partage pas sa descendance.

Vers une suite annoncée ?

Si globalement, le film Assassin’s Creed semble réussir son pari en s’adressant aussi bien aux amateurs de la franchise vidéoludique qu’au grand public, paradoxalement, il distille une étrange impression d’inachevé. Ainsi, le film est une bonne introduction mais à d’éventuelles suites cinématographiques plutôt qu’aux jeux vidéo. Pourquoi pas me direz-vous sauf que le non initié restera sur sa fin face à de nombreuses zones d’ombres scénaristiques et une progression de l’intrigue laborieuse synonyme de nombreux dialogues peu utiles au déroulé de l’histoire. D’autant plus étrange que le changement de mentalité de Cal et sa prise de conscience du monde auquel il appartient restent, eux, trop rapides (malgré sa synchronisation à l’Animus) et donc peu crédibles. Le fan, lui, conscient du potentiel de l’univers qu’on lui offre, ne pourra que ronger son frein en imaginant ce que pourrait donner un second film usant de tous les ressors scénaristiques de l’oeuvre originale.

Difficile de situer ce film qui reste en soit un très bon divertissement, bien emballé par Kurzel et Adam Arkapaw, directeur photo qui après True Detective, réalise un très bon boulot participant à la réussite du projet. Traînant divers problèmes (de rythme, de scénario), Assassin’s Creed n’en reste pas moins un film respectueux du jeu à défaut d’ajouter une véritable pierre à l’édifice de la franchise. On espère donc qu’il trouvera son public, ne serait-ce que pour entrevoir une suite qui s’affranchirait des limites (explicatives) d’un premier volet pour creuser davantage l’incroyable matériau de base. Avec un tel terreau, il y aurait matière à faire germer une trilogie. Encore faut-il que cette première pousse puisse prendre le soleil, ce qui ne sera pas chose aisée en sortant dans l’ombre d’un certain Rogue One.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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